Joyeux Noël Samantha…
Auteure : Xeen
Email : Xeen67@hotmail.com
Genre : je vous préviens tout de suite, c’est pas très gai…
Statut : complet
Spoilers : sûrement
Disclaimer : les persos ne m’appartiennent pas, ils sont la propriété de MGM, showtime, Gekko Prod. Etc et je ne gagne rien en écrivant ces histoires, même pas de l’argent de poche….
Daniel se frotta les yeux et éteignit la petite lampe de bureau. A la lueur des bas-reliefs qui s’agitaient sur les moniteurs de ses ordinateurs, il rassembla ses affaires et sortit silencieusement de la pièce. Il avait deux semaines devant lui. Les équipes de maintenance ne tarderaient pas à démonter les mécanismes de la porte pour la révision annuelle. Il vit de la lumière et passa devant le labo de Carter sans s’arrêter. Il se sentait passablement déprimé et n’avait pas envie d’en faire profiter son entourage.
Plus qu’une semaine avant Noël. C’est à cette époque de l’année que Sha’re lui manquait le plus. Il n’avait même pas eu le temps de lui montrer la neige, le givre et la grêle. Il aurait voulu l’emmener à Philadelphie et lui faire faire une promenade en attelage. Il s’était imaginé emmitouflés sur la banquette arrière, échangeant des baisers dans le dos du cocher déguisé en Père Noël. Lui tenir la main devant la cheminée, lui offrir cette bague dont il avait rêvé pour elle.
Tout ça n’arriverait jamais.
Il accéléra le pas en baissant la tête et claqua derrière lui la porte de ses quartiers. Ses joues étaient inondées de larmes. Il s’essuya le nez d’un revers de manche, remonta ses lunettes et passa ses pouces sur ses yeux rougis. Il jeta un sac de voyage sur le lit, le remplit de l’essentiel et après un dernier regard sur la pièce sans âme, il éteignit la lumière et sortit pour rejoindre la surface. Il n’avait pas le courage de dire au revoir à ses compagnons. Il passerait s’acheter du rhum, des œufs et quelques provisions en route et s’enfermerait jusqu’au jour de l’an. Après tout, ce n’était pas comme si on l’attendait quelque part. S’il parvenait à ne pas dessoûler jusqu’à la nouvelle année, il aurait au moins accompli quelque chose.
Le major Carter fut tirée de son sommeil par la sonnerie du téléphone. Ses yeux papillonnèrent un moment avant qu’elle ne réalise qu’elle s’était encore endormie sur son bureau. Avant de décrocher, elle jeta un coup d’œil à sa montre. 17:38 heures. Sur un ton mal assuré, elle répondit que, non, le colonel n’était pas au labo, et que non, elle ne l’avait pas vu dans l’après-midi. Elle raccrocha, un pli soucieux au milieu du front. Quand ils étaient cloués à la base comme aujourd’hui, il était bien rare que le colonel ne passe pas la voir pour discuter de choses et d’autres. Elle faisait son possible pour répondre à ses questions et lui donner des explications, mais il ne l’écoutait qu’à moitié. Il vient pour moi, se dit-elle en souriant machinalement. Le grand Jack O’Neill vient pour moi. Je n’aurais jamais cru que nous arriverions à nous entendre. Je me demande si le colonel a ressenti la même chose que moi quand je suis entrée et que je l’ai vu pour la première fois. Il y avait des photos de Jack dans son dossier, mais je ne m’attendais pas à avoir un choc pareil. Wow, je sens encore mes jambes qui flageolent. Heureusement qu’il ne s’en est pas aperçu. Je me demande pourquoi je repense à tout ça. C’était il y a plus de quatre ans…
Et bientôt Noël. C’est à cause de Noël que je repense à notre première rencontre. La mission sur Abydos était juste un mois avant. J’avais reçu ma nouvelle affectation et passé les fêtes à déménager à Colorado Springs. L’année suivante, j’étais à l’hôpital, à soigner les engelures de la mission qui nous avait fait échouer en Antarctique. Le colonel s’en était tiré de justesse. Le soir du réveillon, il était toujours dans le coma. Un an plus tard, c’était Teal’c et le colonel qui passaient le réveillon à l’infirmerie après avoir été gravement blessés en nous sauvant du trou noir qui menaçait la Terre depuis P3W-451. SG-10 n’avait pas eu cette chance. Ils n’étaient pas rentrés du tout. Pas plus que le colonel Cromwell ne s’en était sorti. L’année dernière, j’avais passé trois mois enfermée au labo pour trouver un moyen de faire revenir le colonel d’Edora. Je ne me suis même pas rendu compte que c’était Noël. Teal’c avait dû rentrer sur Chulak et Daniel venait juste de perdre Sha’re. Je me souviens que Janet était venue m’apporter un morceau de dinde et un verre de champagne.
Cette année tout se passerait bien. Mon père viendrait. Elle lui avait envoyé un message auquel il n’avait pas encore répondu mais elle était sûre qu’il viendrait. Marc avait promis qu’il essaierait. La grossesse de sa femme était difficile. Elle soupira. Elle aurait tant voulu les voir réunis tous les trois. Depuis la mort de sa mère, ils n’avaient jamais passé Noël ensemble.
Elle mit les mains derrière sa nuque et s’étira. Il fallait qu’elle rattrape son retard. Elle appuya une touche sur le clavier pour désactiver l’économiseur d’écran et se remit à taper son rapport d’expertise sans consulter ses notes.
Jack enleva ses gants et tendit la main à Teal’c. " La revanche le 2 janvier ? Vous êtes sûr de vouloir rentrer sur Chulak ? " demanda le colonel.
" Absolument O’Neill. Si je tarde trop, les réparations nécessaires à la porte m’empêcheraient de rejoindre ma famille. " confirma le Jaffa en lui donnant une franche poignée de main.
" Et vous avez un truc genre Noël sur Chulak ? " commença O’Neill, avant de se mordre la langue. " Peut-être pas… " dit-il sur un ton d’excuse.
" Pas à cette période de l’année. Mais de toute façon, il ne s’agit pas d’une fête mais d’une retraite destinée à purifier les âmes. " expliqua Teal’c.
" Purifier les âmes. Voyez-vous ça. Alors pas de cadeaux, de guirlandes, de sapins ou de lutins, je présume ? "
" Non. "
" Ah. Très bien. Alors Teal’c embrassez Ryac et Bratac et tous les t’acs que vous voudrez et à dans quinze jours ! " dit O’Neill en serrant le jaffa dans ses bras. Teal’c s’inclina.
" Joyeux Noël, O’Neill. "
Le colonel le regarda sortir de la salle de gym. Voilà le genre de gars avec lequel j’aurais bien passé Noël. Sobre, pas bavard, bon compagnon. Il secoua la tête. De toute façon cette histoire de Noël, c’était une fumisterie. Un pack de bières, du pop-corn, quelques vidéos et beaucoup de hockey. Depuis qu’il avait perdu son fils, il redoutait cette période de l’année. Heureusement, il y avait échappé jusqu’à aujourd’hui. A chaque Noël, il était soit à l’hôpital, soit offworld. Il pensa brièvement à Laira. Non, c’était du passé. Comme Sara, comme Charlie. Il enleva son casque de protection et prit une douche. Il dépassa distraitement le labo de Carter et hésita, la main sur la poignée de la porte. Il secoua la tête et se rendit directement à ses quartiers. Il écrivit un énorme ‘Joyeux Noël’ sur le paquet enrubanné qu’il venait de sortir de son placard et alla le déposer comme un voleur dans les quartiers du major. Il fallait qu’il passe prendre quelques affaires à son appartement avant d’aller à sa cabane. Il irait en voiture, décida-t-il en regardant les diodes qui clignotaient et le rapprochaient de la surface. Cette fois-ci, il avait largement le temps. Quinze jours pour essayer d’oublier Noël. Et que Charlie n’était plus là.
" Entrez ! "
" Excusez-moi mon général, mais je ne trouve pas les autres. " commença Carter mal à l’aise les bras dans le dos. Elle faisait face au général.
" Je crains que vous ne les ayez manqués major Carter. Teal’c a rejoint Chulak en catastrophe. Quand au docteur Jackson et au colonel O’Neill, ils ont quitté la base cet après-midi. " répondit Hammond en la fixant d’un regard paternel. " Et vous devriez en faire autant major. Vous êtes en permission depuis midi. Et jusqu’au 2 janvier. Que faites-vous encore là ? " dit-il d’un ton concerné. Il se leva et contourna son bureau. Sam baissait la tête. " Vous n’avez pas reçu de réponse de Jacob, c’est ça ? "
" Non, mon général. "
" Samantha, il peut venir vous rendre visite, même si la porte est condamnée. "
" C’est que, mon général, je ne sais même pas s’il va venir. "
" Et votre frère ? Vous pourriez aller en Californie. Vous n’en avez pas assez de la neige ? Pour ma part, je pars aux Antilles dans… " il consulta sa montre, " trois heures et demie ! "
" Oh, je ne savais pas mon général. "
" J’ai droit à des vacances moi aussi major. " plaisanta-t-il. Conscient de la détresse de Sam, Il la prit par les épaules et l’obligea à relever la tête. Elle retenait ses larmes à grand peine. " Ne restez pas à la base à vous morfondre mon petit. Sortez, faites la fête. Vous l’avez bien mérité, " dit-il d’un ton radouci, " c’est un ordre major ! "
" Oui mon général. " balbutia Sam. " Je vais voir si Janet est encore là. "
" Inutile. L’infirmerie est fermée depuis hier. Toutes les équipes sont rentrées et le capitaine Fraiser a rejoint sa famille en Europe. "
" C’est vrai. J’avais oublié, " soupira-t-elle. " Excusez-moi de vous avoir dérangé mon général. "
" Vous ne m’avez pas dérangé Sam, " dit-il en plaquant deux baisers sonores sur ses joues, " passez un joyeux Noël, mon petit. On se revoit l’année prochaine, " ajouta-t-il en la raccompagnant à la porte de son bureau.
Elle enfonça les mains dans les poches de son treillis kaki et partit la tête basse. Hammond fronça les sourcils et hocha la tête. Il regrettait presque de devoir partir. Il attendit qu’elle tourne au bout du couloir et referma la porte.
Samantha Carter alla directement à son labo avant de réaliser qu’elle n’avait rien de spécial à y faire. " Bon. Ca suffit Sam, " dit-elle à voix basse, " il est temps que tu t’occupes un peu de toi. Prends ce que tu as à prendre et rentre chez toi, passe une bonne nuit et il fera jour demain. " Ragaillardie, elle entra dans ses quartiers et vit le paquet sur le lit. Elle reconnut immédiatement l’écriture du colonel O’Neill. Et tomba sur son lit en sanglotant.
Le colonel Jack O’Neill sortit de sa Jeep et s’étira. Huit heures de route et il n’en était qu’à la moitié du trajet. Son genou commençait à appeler au secours. Ce n’était plus de son âge… Il fit signe au pompiste qui vérifiait les niveaux qu’il allait à la station. Un café, ou deux, un brin de toilette et direction le Minnesota. La rivière du Lac qui parle était gelée à cette époque de l’année mais il pourrait toujours faire quelques parties de hockey. Le lac serait pour lui tout seul. La cabane que lui avait laissé son grand-père était à 15 miles de toute habitation. Il fallait juste qu’il passe prendre du fuel pour le groupe électrogène. Il avait fait sa réserve de bois l’été dernier. En remplissant son coffre à l’épicerie, il pourrait rapporter le ravitaillement pour quinze jours. Il était tout seul, pas d’invités, pas de fête. Du corned-beef, des œufs, des packs de bière, du rhum, et les rations de l’armée qu’il avait réquisitionnées à l’entrepôt. Il paya le pompiste et reprit la route. La neige commençait à tomber. Il vérifia qu’il avait bien emporté les chaînes, les déposa sur le siège du passager et démarra.
" Daniel ? " cria Carter en frappant à la porte de l’appartement pour la troisième fois. " Daniel ? Vous êtes là ? " Elle recula sur le palier et redescendit en surveillant la porte. Rien. Elle sonna chez le gardien. Une petite fille d’environ dix ans déguisée en ange vint lui ouvrir. " Tu veux voir mon papa, madame ? " demanda-t-elle. " Oui ma chérie. " répondit Sam en s’accroupissant devant la petite, " il est là ? "
" Non, madame, il est allé chercher un sapin avec Jack. "
" Jack ? " Son cœur avait bondi dans sa poitrine en entendant le prénom.
" Jack c’est mon grand frère. Ma maman est là si tu veux, " proposa la gamine.
" Je veux bien voir ta maman. " répondit Sam en soupirant.
" Vous désirez mademoiselle, " commença la jeune femme qui accourait, en s’essuyant les mains sur son tablier.
" Bonjour ! Je voulais savoir si Daniel Jackson était là. Je suis inquiète. Son répondeur n’est pas branché et il ne répond pas aux appels. Je me suis dit que j’allais passer voir si tout allait bien, mais j’ai frappé… "
" Oh… Le docteur Jackson ne veut pas être dérangé. Il m’a demandé de garder son courrier jusqu’à l’année prochaine, " dit la concierge en souriant gauchement. Elle rejeta la tête en arrière pour dégager son front des mèches folles qui lui tombaient dans les yeux. " Il avait l’air très fatigué quand il est venu hier apporter les étrennes des petits. " Elle posa la main sur son ventre rebondi.
" C’est pour bientôt ? " demanda Sam.
" Oh, non ! " s’exclama la femme en riant, " pas avant un bon mois. Mais ça commence à être lourd, " ajouta-t-elle en serrant la petite fille contre elle.
" Vous pourrez dire au docteur Jackson que je suis passée ? Samantha Carter. Je voulais lui donner ce paquet. "
" Je… je ne peux rien vous promettre. Il ne veut vraiment pas être dérangé mademoiselle. Il a l’air tellement triste depuis qu’il a perdu sa femme, que je n’ose plus aller lui parler, " expliqua-t-elle avec un regard d’excuse en faisant tourner le paquet entre ses mains.
" Ce n’est pas grave. Dites-lui si vous le voyez. Et qu’il peut m’appeler quand il veut. Il a mon numéro. "
Sam hésita. Elle regarda la petite fille, fit un grand sourire et remercia la concierge. En remontant dans sa Volvo, elle aperçut le concierge qui se garait, un énorme sapin ficelé sur la galerie de sa voiture. " Dis, Papa, je pourrais t’aider à le porter, dis ? Je pourrais, dis… " criait un garçon à peine plus vieux que la gamine qu’elle venait de quitter.
Sam les observa pendant qu’ils déchargeaient le sapin et les vit rentrer dans l’immeuble en riant. Le petit ange se précipita à leur rencontre et sautilla autour de l’arbre. Puis ils disparurent tous les trois à l’intérieur. Sam posa son front entre ses mains sur le volant et essaya de reprendre le contrôle. Elle sentait les larmes qui affluaient. Elle regarda le paquet qu’elle avait posé sur le siège à côté d’elle. " Joyeux Noël " murmura-t-elle. " Bon, " murmura-t-elle, " il est peut-être encore là… ". Elle regarda dans le rétroviseur et s’engagea dans la circulation.
Daniel se leva en titubant jusqu’à la fenêtre. Il souleva le store et regarda la voiture de Sam démarrer. Donc, c’était Sam. Le diable l’emporte. Il laissa retomber le store et revint à pas lents dans le salon. Il s’effondra dans le canapé et se versa une rasade de rhum. Il leva son verre.
" Joyeux Noël, Sam " murmura-t-il avant d’avaler cul sec en grimaçant. Sa tête retomba lourdement sur le dossier. Il étendit ses pieds sur la table basse et se remit à fixer le vide.
Samantha avait fait deux fois le tour de la maison. Tous les volets étaient fermés et le courrier de deux jours envahissait déjà la boîte à lettres. Elle prit la pile, jeta les prospectus en bougonnant et mit les lettres dans sa poche. Elle frappa une dernière fois, le visage collé contre la vitre de la porte d’entrée, la main en visière pour atténuer les reflets. " Non, il est parti. " murmura-t-elle dépitée. " Il me laisse un cadeau, et il s’en va sans me dire au revoir. " s’énerva-t-elle.
Elle avait compté sur Daniel, mais apparemment, les deux hommes étaient dans le même état d’esprit. Eviter Noël à tout prix. Elle fit demi-tour et descendit l’allée en regardant ses pieds. " Tu ne peux pas faire ça Sam… " pensa-t-elle. " Et après tout, pourquoi pas ? " décida-t-elle.
Elle jeta les clefs à la volée sur la table de l’entrée et décrocha le téléphone en retirant son gant avec les dents. La sonnerie à l’autre bout du fil. " Bon, je compte jusqu’à quinze, et je raccroche, " pensa-t-elle.
" Allô ? "
" Ellen ? C’est Samantha. Comment vas-tu ? Est-ce que vous avez des nouvelles de Jacob ? "
" Oh Sammie ! Je te passe Mark, il vient de rentrer, je suis aux fourneaux, tu m’excuses, " répondit sa belle-sœur.
" Mark ? Est-ce que Ellen m’évite ? " demanda Sam.
" Non, tu te fais des idées, Sam, je t’assure, elle est juste à bout, cette grossesse est terrible, elle passe tout son temps allongée… "
" Oh, je vois. Est-ce que Papa t’a donné signe de vie ? "
" Il ne t’a pas prévenue ? Il ne pourra pas venir pour Noël. Il essaiera d’être là pour le jour de l’an. Le ministère l’a encore envoyé je ne sais où. Il devait t’appeler. "
" Non. Enfin, peut-être, je suis en vacances et je n’ai pas eu de messages de la base. " s’étonna Sam.
" La communication était très mauvaise. " dit Mark. " On aurait dit qu’il appelait de la lune ! " ajouta-t-il en riant. Sam faillit pouffer. " Sammie, ne m’en veux pas, mais je ne pourrais pas venir à Colorado Springs pour Noël. Je comptais t’appeler ce soir… "
" Tu as mon numéro de portable Mark, si jamais vous avez besoin de moi, n’hésite pas à appeler. Je crois que je vais aller faire un tour. Peut-être à Chicago. Il paraît que c’est magnifique à Noël. J’ai besoin d’être un peu seule. "
" Je comprends, ne t’inquiète pas tout ira bien. Je t’embrasse… Attends… Ellen et Kevin aussi ! "
Sam raccrocha, un sourire aux lèvres.
Elle ramassa le sac de voyage qu’elle avait jeté dans le couloir la veille au soir, et ajouta quelques vêtements chauds et des chaussures de marche. Après avoir jeté un coup d’œil autour d’elle, elle décrocha le téléphone, éteignit la lumière et sortit de chez elle en courant.
Jack s’arrêta devant le drugstore et regarda sa montre. 18:20 heures. Finalement, il avait bien roulé. Il ne regrettait pas sa nuit au motel. Apparemment, il avait échappé à une belle tempête. Il lui arrivait d’avoir le nez creux. Il ouvrit la portière et attrapa sa veste sur la banquette arrière. Un blizzard glacial balayait la rue déserte. Les néons du drugstore clignotaient violemment dans le noir. Le dos arqué, il courut jusqu’à la porte et entra en soufflant dans ses mains. " Il ne doit pas faire plus de 1 ou 2 degrés, " pensa-t-il.
" M’sieur O’Neill ! " s’exclama le vieux monsieur qui tenait la boutique. " Ca faisait un bail ! Je me disais bien aussi. "
" Et oui, Johnny, je suis venu passer les fêtes à la cabane. Vous m’avez mis de côté ce que je vous ai demandé ? "
" La jeune dame a tout emporté en début d’après-midi. " répondit le commerçant. " Elle a même pris du rabe… " ajouta-t-il en clignant de l’œil.
" La jeune dame ? Comment ça ? "
" Une grande blonde. Un peu pète-sec. Un joli brin de fille, si vous voulez mon avis. "
" Heu… Oui, c’est vrai… " hésita Jack qui réfléchissait à toute allure. Carter ? " Je vais prendre du fuel pour le groupe. "
" Elle en a pris aussi, m’sieur O’Neill. " dit Johnny. " Même que j’ai cru qu’on arriverait jamais à rentrer tout ça dans sa voiture ! "
" Un coupé sport ? "
" Oh non, une espèce de berline. Vous savez les gros modèles qu’ils font maintenant. On peut rien y mettre dans le coffre. Vous voyez ce que je veux dire ! " rigola l’homme.
" Oui… je vois. Elle est passée vers quelle heure ? "
" Laissez-moi réfléchir. Y avait MacFiddish, avec sa tripotée de marmots, y devait pas être loin de midi. Peut-être un peu plus. Je lui ai vendu une carte d’état-major. Je voulais pas qu’elle se perde, avec la tempête, vous comprenez. Joli brin de fille, " insista-t-il.
" Johnny, vous n’auriez pas du champagne ? " demanda Jack avec un grand sourire.
Samantha avait eu tout son temps pour faire le tour du propriétaire. Elle remonta son col sur ses oreilles et se mit à chercher un moyen de rentrer dans la cabane. Ca ne devait pas être bien sorcier. Elle passa la main dans tous les interstices, sous les bois des volets, sur les chambranles. Pas de clefs. Elle n’allait pas passer l’après-midi ou même la nuit dans la voiture.
Le type du drugstore attendait le colonel. Il n’allait pas tarder. Elle reprit ses recherches. Soudain, elle eut une illumination. Elle sauta dans sa voiture, changea ses chaussures de ville contre des rangers et se précipita vers la rivière. Si Jack pêchait, il devait avoir une remise. Quelque part. L’air vif lui fouettait le visage. Elle se tordit les pieds dans les pierres du chemin cachées par la neige et tomba en riant aux éclats. Ca lui rappelait Washington. La neige, le froid, Noël. Jonas… Mauvaise idée.
Elle ralentit son pas. Elle avait trouvé la remise. Elle secoua la porte. Fermée. Sans se décourager, elle sortit un couteau suisse de sa poche et crocheta la serrure. Elle n’avait pas perdu la main… Toutes ces années à regarder MacGyver lui servait enfin à quelque chose. Elle entra et prit une lampe torche sur l’étagère. Trouver les cuillères. Voilà. Elle farfouilla un moment à l’aveuglette dans les leurres puis finit par sortir de la cabane et renversa la boîte sur le sol. Les cuillères se répandirent en cliquetant.
" Hé ! Te voilà ! " s’écria-t-elle en ramassant un trousseau de clefs. Elle remit soigneusement le matériel sur l’étagère, repoussa la porte qu’elle coinça avec une grosse pierre et remonta en courant vers la maison. " Bingo ! " murmura-t-elle en faisant tourner la clef dans la serrure. Laissant la porte ouverte, elle déchargea la voiture, sous le regard intéressé d’un raton-laveur. " Ce n’est pas pour toi mon gros, " lui dit-elle en agitant les bras. L’animal la regarda d’un œil placide. " Tu vas déguerpir ! " s’écria-t-elle. Il resta parfaitement immobile. " Bon, fais comme tu veux. Tu ne saurais pas où est le groupe électrogène, par hasard ? " Le raton-laveur pencha la tête et continua de la fixer. " Si tu veux du poisson, mon gros, il faudra attendre le colonel ! " dit-elle en lui claquant la porte au nez.
La Jeep tourna sur le chemin et Jack fit caler le moteur, laissant les phares allumés. Une berline vert foncée était garée devant la cabane. De la fumée s’échappait de la cheminée et il entendait le ronflement étouffé du groupe électrogène.
Qui que ce soit, l’inconnue avait trouvé comment entrer et mettre le groupe en marche. Pourtant, cela faisait au moins deux ou trois ans qu’il refusait de démarrer à cause de problème d’allumage. Il penchait de plus en plus pour Carter. Qui d’autre ? Il connaissait un tas de blondes, mais c’était certainement la seule qui pouvait arriver à rentrer chez lui sans clef, allumer un feu de cheminée et faire tourner ce foutu groupe !
Il éteignit ses lanternes, attrapa la caisse de champagne et descendit jusqu’à la maison. Il regarda par les fenêtres. On avait allumé des bougies. De l’extérieur, il n’arrivait pas à voir s’il y avait quelqu’un dans la pièce. Il posa la caisse, prenant son courage à deux mains et un air dégagé, il entra.
Personne.
La maison avait subi un nettoyage en règle. La théorie Carter se confirmait. Il lança son sac de voyage sur le tapis. Personne dans la cuisine. Il souleva le couvercle et huma le fumet du ragoût. Carter sait cuisiner… ce n’est pas une preuve. Il effleura la cocotte ; elle était encore chaude. Elle ne devait pas être bien loin. De toute façon, sa voiture était garée devant la porte, se rappela-t-il. Il retourna sur ses pas et inspecta tout le rez-de-chaussée.
Vaguement inquiet, il monta à l’étage et s’arrêta sur le palier. Toujours aucun bruit. Il entra dans sa chambre comme un voleur en grimaçant quand la porte se mit à couiner sur ses gonds. Il alluma la lumière, mais la pièce était vide. Il secoua la tête et essaya la chambre d’ami. Un sac de voyage avait été jeté dans un coin et des vêtements féminins inconnus étaient répandus sur le lit et les sièges. Il reconnut immédiatement le parfum de son second et son cœur se mit à battre plus vite.
" Finalement, ce n’était pas la peine que je l’invite , " pensa-t-il, " il suffisait de ne rien lui demander. " Il prit le couloir en direction de la salle de bain et frappa doucement à la porte. " Carter ? Vous êtes là ? Carter ? " Perplexe, il ouvrit la porte. Carter dormait dans la baignoire, un verre de vin posé sur le rebord, deux bougies éclairaient la pièce d’une lumière jaune et tremblotante. Il fixa l’eau qui clapotait et hésitait sur la marche à suivre.
Au nom du ciel ! Elle était dans sa cabane, dans sa salle de bain, dans sa baignoire ! Et qui plus est, elle était venue de son propre gré… Il se racla la gorge. " Carter ! Vous allez prendre froid. L’eau est glacée, " ajouta-t-il en s’agenouillant. Il la secoua par l’épaule.
Sam se réveilla en sursaut. " Je me suis endormie. Je suis désolée, " dit-elle en le regardant droit dans les yeux. Mon dieu, il est là depuis combien de temps, pensa-t-elle, sentant la panique l’envahir. Qu’est-ce que je viens de dire ? Qu’est-ce que je fais dans le noir ? Sam respire…. " Vous n’auriez pas une serviette, mon colonel ? " demanda-t-elle, " je crois que j’ai laissé les miennes dans mon sac. A vrai dire, je ne sais même pas si j’en ai emporté ! " Elle essaya de sourire et de paraître naturelle. En tout cas, il ne lui avait pas demandé ce qu’elle faisait chez lui.
O’Neill se leva et attrapa un drap de bain sur une étagère derrière lui sans la quitter des yeux. " Tenez Carter. Et descendez vous réchauffer, je vais remettre une bûche dans la cheminée. " dit-il sans bouger.
" J’ai rentré un peu de bois tout à l’heure. J’ai l’impression que la tempête n’est pas finie. " dit Carter en se redressant. Jack ne pouvait pas détacher ses yeux de son second. Sam se passa les mains dans les cheveux et lui tendit le verre de vin. " Tenez, je ne veux pas risquer de le faire tomber mon colonel. J’ai préféré mettre des bougies, parce que si nous sommes coincés par la tempête, il vaut mieux économiser le fuel, " expliqua-t-elle en s’appuyant sur les rebords pour se hisser hors de la baignoire. S’il ne sort pas de là, je vais bientôt savoir à quoi m’en tenir, se dit-elle.
Jack détourna les yeux à regret. Il sentit la main de Sam sur la sienne quand elle prit la serviette et sortit en marmonnant qu’il l’attendait en bas. Elle se sécha, vida la baignoire, la rinça, et s’enveloppa dans le drap de bain. Bon, tu as ta réponse Sam. Il va te laisser passer la nuit ici et te jeter dehors demain matin. Elle sortit de la salle de bain et l’appela du haut des escaliers. " Mon colonel ? Vous pourriez faire réchauffer le ragoût ? "
Une voix bougonne lui répondit par l’affirmative. Elle enfila une petite robe en lainage, de grosses chaussettes de montagne et dévala l’escalier en ébouriffant ses cheveux mouillés.
" J’ai une faim de loup, mon colonel. Pas vous ? " dit-elle d’un ton dégagé. Il lui tournait le dos. Elle insista. " Vous avez fait bonne route mon colonel ? "
Jack se retourna et leva son verre.
" Un autre, ça vous dit Carter ? "
" Pourquoi pas ? Je ne vais pas prendre le volant ce soir… " répondit-elle. Est-ce qu’il allait réagir ?
" La tempête arrive, Carter. Si vous restez, vous risquez d’être coincée ici plus d’une semaine. Les routes sont impraticables autour de la cabane dès qu’il neige trop. Elles ne sont pas dégagées. " Il avait l’air très sérieux.
" Vous voulez que je m’en aille mon colonel ? "
" Je ne sais pas. " dit Jack en s’absorbant dans la contemplation de son verre. " Non, je veux que vous restiez major, " finit-il par ajouter, presque à voix basse.
" Alors je veux bien ce verre mon colonel. "
Sam regardait les branches dont l’ombre s’agitait sur les vitres gelées. Le vent avait redoublé de violence toute la soirée. Depuis qu’il avait faibli, une neige lourde et molle s’était mise à tomber.
Elle repensa au raton-laveur. " Je suis sûre qu’il attendait Jack. Danse avec les ratons-laveurs… pas terrible. " Elle se mit à rire. Elle avait passé une excellente soirée. Finalement, il n’avait pas fait de commentaire. Il avait même l’air content qu’elle soit venue.
Elle s’enfonça sous la couette et ferma les yeux. Le silence. La neige et le silence. Elle s’endormit.
Jack guettait les bruits dans la chambre voisine. Elle devait dormir. Il prit un vieux pull qui traînait sur la commode et redescendit. Il fallait qu’il calfeutre la maison. La tempête s’était calmée, mais il savait qu’elle redoublerait d’intensité à l’aube. Il chaussa de grosses bottes et fit plusieurs aller-retour pour rentrer le plus de bois possible. Le tas contre le mur nord disparaissait déjà derrière une épaisse couche de neige. Au moment de fermer la porte, une ombre traversa son champ de vision.
" Fantomas ? " appela-t-il, " c’est toi Fantomas ? ". Il fit claquer sa langue très doucement et le raton-laveur s’approcha. " Attends un peu mon vieux, je t’ai apporté quelque chose, " dit-il en ouvrant la glacière qu’il avait laissée sur le perron. " Regarde ça ! Du vrai saumon ! Qu’est-ce que tu en penses ? Tu viens le chercher mon grand ? " dit-il en posant le poisson sur le sol. Il se recula dans l’ombre et guetta la réaction de l’animal. Il s’approcha, les narines palpitantes. Jack s’accroupit. Lentement, très lentement l’animal continua sa progression, puis il finit par bondir et emporter son trophée loin de la cabane. Avant de disparaître, il regarda O’Neill. Jack lui fit un petit signe de tête et retourna dans la maison. Il ferma soigneusement la porte, vérifia les volets et les fenêtres, puis s’installa devant le feu mourant avec une bière. Le vin, décidément, ce n’était pas ce qu’il préférait.
Il fit voler ses bottes sur le plancher et s’installa confortablement, les jambes étendues, les pieds posés sur la pierre de l’âtre. Il avait presque failli lui demander de partir, tout à l’heure. Il ne savait même pas pourquoi.
Ou plutôt, il savait. Jamais aucune femme n’était venue ici. A part Sara.
Carter avait dormi chez lui plusieurs fois à Colorado Springs, lui aussi avait dormi chez elle et ils n’en avaient jamais éprouvé de gêne. Et il ne s’était jamais rien passé. Mais là, c’était différent. Tout était différent depuis qu’ils avaient passé le test d’Anise.
Pourquoi Sam était-elle venue sans même savoir s’il serait là ? Il avait fait clairement comprendre que pour lui Noël ne représentait rien. La seule personne au courant de son escapade était le général Hammond, service oblige. Je suis certain que le général ne lui a rien dit… Il secoua la tête et finit sa bière. Il s’étira. Son genou lui faisait un mal de chien. Il remonta se coucher en claudiquant et sourit en pensant au raton-laveur.
" Service d’étage ! " dit Sam en ouvrant la porte. " j’ai fait du café, mais j’ai peur qu’il ne soit pas terrible. "
" Mmmm… ", grogna Jack sous les couvertures.
" Mon colonel, je vous ai réveillé ? " continua Sam. " La tempête est de plus en plus forte. Je suis sûre qu’il y a déjà plus d’un mètre de neige. " dit-elle en ouvrant les rideaux. La réverbération du ciel sur la neige aveugla O’Neill qui émergeait.
" Carter ! Qu’est-ce que vous faites ? Il est quelle heure ? Je suis en vacances, pour l’amour du ciel ! Vous n’allez pas me tirer du lit aux aurores tous les matins ! " s’insurgea Jack.
" ll est presque une heure de l’après-midi, mon colonel. Vous avez fait le tour du cadran. Vous auriez dû me dire hier soir, je vous aurais aidé à rentrer le bois. Je n’ai rien entendu, j’ai dormi comme une bûche, " sourit-elle.
Jack se redressa les cheveux en bataille. Il fit une grimace et se frotta le menton. " Une heure ? Mais pourquoi est-ce que vous ne m’avez pas réveillé Carter ? "
" J’ai pensé que vous aviez besoin de récupérer, " dit-elle en haussant les épaules. Après tout, je n’ai fait que deux heures de route hier et je me suis réveillée à dix heures. "
Elle hésitait sur le pas de la porte. Jack s’assit dans son lit. Il tapota l’édredon, faisant signe à Sam de venir s’asseoir. " Vous en voulez ? "
" Non merci ! J’en suis à ma deuxième cafetière depuis ce matin. A ce train-là nous n’aurons jamais assez de café. " Elle rougit en se rendant compte de ce qu’elle impliquait.
" Sam, arrêtez de gigoter comme ça, vous me donnez le mal de mer. Asseyez-vous, " dit Jack d’un ton péremptoire. " Je vous jure que je me tiendrais bien. " Sam rougit et obtempéra. Elle mit ses mains entre ses genoux et se plongea dans l’observation de ses pieds. " Est-ce que les canalisations ont gelé ? " ajouta Jack, conscient du malaise de son second.
" Pas que je sache. "
" Alors je vais en profiter. " dit-il en avalant son café. " Tournez-vous, s’il vous plaît. "
De rouge, Sam devint écarlate. Jack lui jeta la couette sur la tête en riant et sortit prendre une douche. Finalement, il était bien content qu’elle soit venue.
Le colonel O’Neill grattait sa vieille guitare, le dos contre la cheminée. Il fredonnait à voix basse. Le major Carter, le visage éclairé par l’écran de son ordinateur portable, tapait frénétiquement sur le clavier en se mordant la lèvre inférieure.
Deux lampes à pétrole éclairaient la pièce. A l’extérieur, la neige recouvrait les environs d’un épais manteau blanc. La tempête était finie mais la neige tombait toujours.
Ces trois derniers jours, Jack était sorti pour déblayer le chemin et conserver un semblant d’accès à la cabane. La voiture de location de Sam avait disparu sous une congère, mais la Jeep était encore accessible. Jack n’était pas sûr de pouvoir la faire remonter jusqu’à la route, mais il aimait bien travailler au grand air. Il avait vu les traces de Fantomas ce matin. Mais le petit animal ne se risquait pas à l’approcher, craignant la présence de son invitée surprise.
Il plaqua un accord discordant et posa la guitare sur le fauteuil en soupirant.
" Ca vous dit de faire un tour major ? " demanda-t-il en s’étirant. " Je suis en train de me ramollir, " dit-il en guettant sa réaction.
Sam releva la tête et hésita.
" J’ai presque fini, mon colonel, " dit-elle en lorgnant l’écran de son ordinateur. " Allez-y, je suivrai vos traces… "
" Comme vous voulez Carter. Vous ne savez pas ce que vous manquez ! " dit Jack en attrapant sa veste et son bonnet.
" Je me doute, " sourit Sam. " Je vais venir. Laissez-moi un quart d’heure. "
Jack hocha la tête d’un air dubitatif et sortit sans répondre. La nuit allait bientôt tomber. Elle allait faire comme les jours précédents, travailler, travailler et encore travailler. Et faire comme s’il n’était pas là. Non, ce n’était pas ça. Il sentait que sa présence la réconfortait. Elle passait des heures à le regarder, et lui des heures à faire semblant de ne pas le remarquer. Le reste du temps, c’était lui qui l’observait. Sam doit être le genre de personne à préparer Noël dès le mois de septembre. " Pas étonnant qu’elle ait craqué quand son frère et son père lui ont fait faux bond. " pensa-t-il. " Elle aurait pu aller voir Daniel, " Il fronça les sourcils. Il préférait ne pas savoir qu’il venait en second sur la liste. Il sentit la jalousie lui donner un petit pincement au cœur. " Tu es ridicule, Jack ! " murmura-t-il. " Jaloux de Daniel ? Pourquoi pas de Teal’c ? ". A cette pensée, il eut un petit rire. Il enfila ses gants et leva les yeux vers le ciel blanc. " En fait, Daniel ne m’a pas souhaité un joyeux Noël. " Il ne l’avait même pas vu quitter la base. L’archéologue les tenait à l’écart depuis la mort de Sha’re, il avait dû s’enfermer chez lui et décrocher le téléphone. " Il faudrait que je demande à Sam. " Les mains enfoncés dans les poches, il continua à marcher vers la rivière en donnant des grands coups de pieds dans la neige. " Peut-être pas, finalement… "
Sam lança l’impression et se précipita derrière la vitre et regarda Jack s’éloigner. Elle mit rapidement ses gants et ses bottes et sortit en courant. " Où est donc cette foutue pelle ? " grommela-t-elle en cherchant autour d’elle. " Ah, te voilà ! "
Elle regarda d’un air accablé le tas de neige qui l’empêchait d’atteindre le coffre de sa voiture. " Tu as intérêt à t’y mettre tout de suite si tu veux mettre des cadeaux au pied de cet arbre… " pensa-t-elle. Elle fit le tour et s’aperçut avec soulagement que la situation n’était pas aussi catastrophique qu’elle l’avait cru. De l’autre côté, elle pouvait presque ouvrir la portière arrière. Il suffirait qu’elle démonte le siège pour atteindre les paquets qu’elle avait laissés dans le coffre en prévision du réveillon. Elle pelleta avec énergie, entra dans la voiture, baissa le dossier du siège et arracha la garniture en tirant de toutes ses forces.
Les paquets et les décorations de Noël atterrirent dans la neige et elle claqua la portière avec soulagement.
Elle emporta son butin à l’intérieur et ressortit comme une fusée. " Heureusement que Jack me laisse travailler, " murmura-t-elle en souriant. Elle fonça derrière la cabane aussi vite qu’elle le pouvait. Ses pieds s’enfonçaient dans la neige molle, elle en eût bientôt jusqu’à la taille. " Où est cette foutue bâche ? " s’énerva-t-elle. Un morceau de plastique bleu apparut sous la pelle. Elle tira de toutes ses forces et la neige glissa sur le plastique. Elle agrippa le pied du sapin et tira. Contre toute attente, l’arbre n’opposa aucune résistance et elle se retrouva les quatre fers en l’air. Elle éclata de rire. " Allez, encore un effort, " dit-elle à haute voix, " tu y es presque. "
Elle retourna à la cabane, traînant le sapin derrière elle, et le déposa sur le seuil pour le secouer et faire tomber la glace et la neige qui le recouvraient. Elle fixa l’x à coups de marteau rageurs et prit l’arbre sous son bras. Parfait.
Elle jeta sa veste par terre, lança ses bottes à travers la pièce et s’attela à la suite de son programme.
Les décorations jaillirent d’un sac et se retrouvèrent sur le sapin en moins de temps qu’il n’en faut pour épeler Tchécoslovaquie à l’envers. Elle lutta un moment avec l’étoile qui refusait de tenir au sommet et se recula pour admirer son œuvre. Pas mal.
Elle suspendit deux chaussettes en laine rouge et verte bordées de père Noël devant la cheminée et les remplit de petits paquets de toutes les couleurs. Elle mit les deux pages dactylographiées dans une enveloppe, calligraphia soigneusement ‘Jack’ et mit l’enveloppe dans l’une des chaussettes. Elle déposa le paquet que Jack lui avait laissé au SCG au pied du sapin.
Pour finir, elle ramassa la réussite, remit les cartes de Jack dans leur paquet, disposa sur la table basse et sur le manteau de la cheminée des bougeoirs en argent et accrocha un bouquet de gui au plafond.
Elle se précipita au premier étage pour se changer. Elle roula en boule ses vêtements mouillés, prit une douche, vaporisa du parfum tout en marchant, passa une petite robe bleue décolletée dans le dos et accrocha ses bas. Elle enfila par dessus un pantalon de ski, des chaussettes de montagne, un gros pull irlandais à torsades en laine écru et redescendit comme un boulet de canon.
Elle remit ses bottes et sortit en claquant la porte rejoindre le colonel. Le raton-laveur, surpris, détala sur le sentier.
Jack rêvassait devant la rivière gelée. Il leva la tête en entendant des oies sauvages annoncer leur passage en décrivant un V parfait dans le ciel plombé.
Qu’est-ce qu’elle pouvait donc écrire depuis qu’elle était arrivée ? " Cette fille est un vrai mystère, " pensa-t-il. Passé le premier soir, sa colère avait faibli, en même temps que sa détermination à la renvoyer à Colorado Springs. Il compta mentalement le nombre de fois où il l’avait invitée sans succès et celui où il n’avait pas osé le faire, craignant un autre refus. " Tu n’as pas assez de doigts Jack ! " Cette pensée le fit grimacer.
Finalement, ce n’était pas si mal qu’elle soit là. Il n’avait pas pensé à Charlie depuis le premier soir. Ils avaient discuté de tout et de rien, rit ensemble, mangé ensemble. Jouer aux échecs avec Sam n’avait pas été une très bonne idée. Elle devait être capable de battre même Daniel sans réfléchir. Mis à part un jeu de cartes, un Scrabble et cet échiquier, il n’avait rien d’autre à la cabane.
Il soupira. On était la veille de Noël. Il avait soigneusement évité le sujet. A tout hasard, il avait posé sur son lit une chemise blanche, un nœud papillon et son pantalon en cuir noir. Pas tellement approprié pour un réveillon en tête à tête, mais autre chose que ses t-shirts à manches longues, ses pantalons en velours et ses chemises de bûcheron. " Jack, tu te fais des idées. Elle est venue. Contente-toi de ça. Estime-toi heureux qu’elle te considère encore comme un ami après ce qui s’est passé. " Il frissonna malgré lui. Sans Anise, il n’aurait jamais avoué ce qu’il ressentait pour Sam. Même sous la torture…
Et pourtant, il l’avait dit. " Mon colonel, " avait murmuré Sam alors qu’il refusait de se soumettre au test pour la deuxième fois. Et ses barrières s’étaient effondrées comme un château de cartes. Peu importait Janet, Teal’c ou Anise. Il l’avait regardé droit dans les yeux et avait reconnu qu’il tenait à elle. Et elle avait soutenu son regard. Il se rappelait les mots qu’elle avait prononcé ensuite. " Le champ d’énergie a fluctué quand j’ai touché sa main pour lui dire adieu. Je n’ai pas pu lui dire que je l’aimais, mais j’ai vu dans ses yeux qu’il savait. "
Le visage impassible, il remonta ses lunettes de soleil et baissa la tête.
" Mon colonel ? Tout va bien ? " demanda Carter qui arrivait en courant.
Il fut surpris de la voir essoufflée. Il la regarda sautiller d’un pied sur l’autre en tapant ses mains l’une contre l’autre.
" Bataille ? " dit-il.
" Bataille ! "
Dissimulé par un tronc d’arbre, le raton-laveur observait les deux humains. Il peinait à comprendre le but de leur agitation et la raison de leurs cris. Quand il reçut une boule de neige perdue, il s’enfuit.
" J’ai gagné ! " s’exclama Sam en se retournant, les joues rosies par l’exercice et la course.
" Vous m’avez fait un croche-pied ! " lui reprocha Jack qui arrivait sur ses talons.
" Je n’avais rien promis, mon colonel. "
" Vous avez triché Carter, " sourit-il en s’approchant. Il fit tomber la neige qui s’était collée sur sa veste et enleva son bonnet. Hirsute, il fit mine de l’attraper et de la jeter à son tour dans la neige. Elle se déroba en riant. " Si on rentrait se réchauffer, je suis gelé, " dit Jack en se passant les mains dans les cheveux.
" Si vous voulez mon colonel. "
" Pour l’amour du ciel, même après une bataille de boules de neige, vous ne pouvez pas laisser tomber les grades, Carter ! "
" Mon colonel ? "
" Un petit effort , appelez-moi Jack. " dit-il platement.
Elle baissa les yeux. " D’accord, mais à une condition. "
" Tout ce que vous voulez Carter. "
" Dites-moi que vous ne m’en voulez plus d’être venue. "
" Je ne vous en veux pas Carter. Vous le savez bien. Je ne peux pas vous en vouloir. " admit-il d’un air gêné. " Rentrons, il commence à faire nuit, " dit-il en lui prenant le bras. " Ce n’est plus de mon âge. J’ai besoin d’un bon feu et d’un lait de poule. "
" Encore autre chose mon colonel. "
" Jack. "
" Jack. "
" Je vous écoute. "
" Promettez-moi que vous ne vous fâcherez pas. "
" … "
" S’il vous plaît. "
Il acquiesça gravement et serra son bras. " Je vous le promets Carter. "
" Sam. "
" Sam. "
" Fermez les yeux s’il vous plaît. " Elle poussa la porte en le tenant par la main. " Asseyez-vous… là. "
Jack l’entendit craquer des allumettes et se débarrasser de sa veste, de son bonnet et de ses gants.
" N’ouvrez pas les yeux, d’accord ? " continua-t-elle.
Jack mit les mains devant ses yeux. Il l’entendit enlever ses chaussures et son pull et entrouvrit un œil. Et vit le sapin. Il se mit debout comme un ressort, sentant la colère l’envahir.
" Carter, qu’est-ce que c’est que ce cirque ? " aboya-t-il.
Sam s’immobilisa, tétanisée, ses chaussettes à la main, les pieds entravés par le pantalon qu’elle essayait de retirer en se tenant au dossier du canapé.
" Je… je voulais vous faire une surprise, " commença-t-elle. " Je ne pensais pas que… "
" Pourtant, c’est vous le cerveau, Carter, " dit-il d’un ton sec. Il traversa la pièce et sortit une bouteille de bière de la glacière. Il dévissa la capsule d’un geste rageur et brandit la bouteille sous le nez de la jeune femme médusée. " Joyeux Noël Carter ! Ca ne vous est pas venu à l’idée que je sois venu ici pour être tranquille, pour échapper à ces imbécillités de fête et de réjouissances forcées ? Vous ne comprenez donc rien ! " hurla-t-il, le visage déformé par la douleur. Il se détourna et s’appuya sur la cheminée, faisant tomber une des chaussettes que Sam avait accrochée. Il donna un coup de pied et les cadeaux se répandirent sur le sol.
Il but une gorgée de bière.
Sam ramassa ses vêtements, poussa ses chaussures contre le mur et monta l’escalier en courant. Elle trébucha sur la dernière marche et se précipita dans sa chambre. Puis elle s‘effondra, se laissant glisser sur le plancher, le dos appuyé contre la porte. Alors seulement, les larmes jaillirent.
Jack porta le goulot à sa bouche. La bouteille était vide. Il avait fini sa bière sans s’en rendre compte. Il résista à l’envie de la fracasser contre le mur et alla la poser dans la caisse, sous l’évier. Machinalement, il en sortit une autre.
Pourquoi réagissait-il comme ça. Pourquoi n’arrivait-il pas à se calmer, à recommencer à vivre normalement ? Pas étonnant qu’il soit si désespérément seul. L’attention de Carter l’avait pris de court. Pourtant, il avait bien pensé à fêter Noël avec elle, puisqu’il avait sorti ce pantalon ridicule ce matin. Il enfouit son visage dans ses mains et se frotta les yeux, les doigts tendus. Il venait juste de lui promettre qu’il ne se fâcherait pas.
Il donna un coup de poing sur le mur et grimaça. " Arrête de t’apitoyer sur toi-même, vas lui faire des excuses. " Il secoua la tête. Impossible. Elle était certainement en train de faire son sac. Il tendit l’oreille.
Il ne pouvait pas la laisser partir au milieu de la nuit. Même si elle réussissait à rejoindre l’aéroport, elle ne trouverait de place sur aucun vol et passerait la nuit dans une salle d’attente, sous la lumière des néons.
Il jura à voix basse et ajouta une bûche dans la cheminée. Il se prit les pieds dans la chaussette verte et rouge et se baissa pour remettre les paquets à l’intérieur.
Et trouva l’enveloppe. " Jack ".
Il la fit tourner dans ses mains, hésitant.
Puis sortit son couteau de sa poche et l’ouvrit.
Mon colonel,
Je suis sans doute la dernière personne que vous aviez envie de voir pendant ces vacances.
Je suis venue parce que vous me l’avez souvent demandé. Parce que j’ai toujours refusé. Pour de mauvaises raisons.
Je suis venue pour toutes les fois où j’ai attendu que vous me le demandiez et où vous ne l’avez pas fait.
Sans doute pour de bonnes raisons. Peut-être aussi pour de mauvaises.
Je ne regrette rien. Le passé est le passé.
Je sais aussi que la vie est trop courte. Et que je n’ai pas envie de vous perdre.
Je vous souhaite un joyeux Noël, Jack
Samantha
Jack resta accoudé à la cheminée, le front sur son avant-bras, le regard perdu dans le vide. Il sentait la lettre flotter dans sa main, poussée par l’air chaud. Il se redressa et la mit dans sa poche. C’est alors qu’il vit posé au pied du sapin le cadeau qu’il lui avait laissé avant de quitter le SGC comme un voleur, " Elle voulait que je sois avec elle pour l’ouvrir, " se dit-il.
Il se sentit dépassé par les événements. Il n’avait aucun moyen de rattraper ce qu’il avait fait à l’instant. Il regarda son visage déformé par la courbure d’une boule du sapin et eut un rictus amer.
Il referma la porte doucement et partit dans la nuit sans regarder derrière lui.
" Joyeux Noël Mark, je suis contente d’avoir pu te parler, " dit Sam. " Oui, il y a encore plus de neige qu’à Colorado Springs ! Je vous embrasse. Je te rappellerais dès mon retour. "
Elle raccrocha et essuya les larmes qui séchaient sur ses joues.
Comment avait-elle pu laisser Jack la traiter de cette façon ? Il fallait qu’elle récupère cette lettre et qu’elle s’en aille d’ici. Pas question de passer une minute de plus dans cette cabane. " Tu n’es qu’une imbécile Samantha Carter. Tu n’as pas compris qu’il te tolérait ici ? C’est pourtant assez clair. " Elle rassembla ses affaires et bourra son sac de voyage.
Arrivée en bas, elle chercha la lettre sans succès. Elle donna un coup de tisonnier dans le feu. Elle était sûrement tombée dans la cheminée… Elle remit ses bottes et sortit pour déblayer la neige autour de sa voiture de location. La colère et le chagrin décuplaient ses forces. Elle lança la pelle sous le porche, mit le sac de voyage dans le coffre et démarra. La voiture réagit au quart de tour. Elle alluma les phares et entreprit de reculer prudemment. Elle réussit à contourner la Jeep de Jack et soupira de soulagement en voyant que le chemin était dégagé. Elle irait jusqu’à l’aéroport et passerait la nuit dans un motel.
" Joyeux Noël, Sam, " murmura-t-elle en frappant le volant rageusement.
Un animal s’immobilisa dans le faisceau des phares. Le regard fou, le raton-laveur fixait la calandre qui se rapprochait. Sam freina et braqua pour l’éviter. La voiture quitta le chemin en rebondissant sur les pierres et finit sa route dans un arbre en contrebas. Sam fut projetée contre le pare-brise qui s’arracha sous l’effet du choc. Le moteur cala, le klaxon se mit à hurler. Le raton-laveur s’approcha prudemment au bord du sentier, reniflant les odeurs d’essence. Quand le corps de Sam retomba en arrière, le klaxon s’arrêta et on n’entendit plus que les roues qui continuaient de tourner dans le vide.
Jack avait attendu que tout le monde se soit éloigné. Il voulait être seul avec Sam. Il avait besoin de lui parler. Il lui tendit la main. " Je suis là Sam, " dit-il. " Je serais toujours là pour toi. "
Le coup de feu se répercuta dans le cimetière. Le colonel O’Neill s’écroula sur la pierre tombale. Il souriait.
FIN