PERMISSION FORCÉE
auteure : Xeen
email :
Xeen67@hotmail.comhttp://communities.msn.fr/Forcryingoutloud
spoilers
: The Broca Divide, Divide & Conquer, Show & Tell, Beneath the Surface, Entity, 2001, Desperate Measuresgenre : romance
statut : complet
résumé : les suites d'un enlèvement, le surmenage, les recommandations de Janet, les ordres du général, qui sait ce qui peut arriver ?
disclaimers : les personnages appartiennent à Gekko Production, MGM, Double Secret, Showtime etc… bref à beaucoup de monde mais pas à moi.
Merci de ne pas publier sans mon accord
*
Permission forcée
Xeen (copyright - avril 2002)
Jack entra dans le labo comme un boulet de canon et s'arrêta net en voyant le major Carter assoupie devant son fameux réacteur à naquadah.
Il recula à pas de loup et referma sans bruit la porte derrière lui. Il était temps que quelqu'un oblige Sam à lever le pied ou elle finirait par craquer. Elle tirait trop sur la corde et le jour où cette corde céderait, fort probablement en mission, le résultat risquait d'être désastreux aussi bien pour elle que pour ses co-équipiers.
Le front barré d'une ride profonde, il redescendit au 26ème niveau et frappa à la porte du bureau du général Hammond avant d'entrer sans y être convié. C'est tout juste si Hammond leva les yeux sur le colonel. D'un geste vague de la main, il lui fit signe de s'asseoir.
Jack se laissa tomber sur un fauteuil et commença à jouer avec le calendrier perpétuel qu'il avait raflé au passage sur le bureau du général. Il prit son air le plus ingénu en essayant de faire croire qu'il n'entendait pas la conversation.
Le général est en train de pourrir ses petites filles, se dit-il. J'aimerais bien être à sa place… Quand il l'entendit promettre qu'il les verrait le samedi suivant, il se prépara à l'attaque. Hammond était toujours dans de bonnes dispositions après avoir parlé à la progéniture de sa fille.
"Général, j'ai besoin de votre aide," dit Jack dès que Hammond eut raccroché. "Que feriez-vous si vous saviez que l'un des membres d'une équipe SG souffrait de surmenage ?"
"Après un bon check-up et la confirmation de notre toubib, je lui ordonnerai d'aller planter ses choux pendant le temps qu'il lui faudrait pour reprendre du poil de la bête, colonel," dit Hammond d'un ton badin en se reculant dans son fauteuil. Il croisa les mains sur son bureau et attendit la suite.
"Exactement mon général, nous sommes d'accord. Si vous voulez bien me signer ça…. s'il vous plaît," dit O'Neill en lui tendant un formulaire en trois exemplaires.
Hammond prit les feuillets et les parcourut rapidement avant de lever les yeux. Son expression d'incompréhension en disait long sur la teneur du document.
"Vous voulez que j'ordonne au major Carter de quitter la base pendant sa permission ? Jack, vous êtes son officier supérieur…"
"Général, rien de ce que je pourrais dire ou faire ne serait susceptible d'obliger Carter à prendre du repos. Il faut que vous lui donniez l'ordre express de sortir de la base. J'ai pensé que Carter serait bien obligée de vous obéir… j'espère," ajouta-t-il en baissant la voix, la même ride verticale au milieu du front.
"SG-1 est en permission depuis 14:00 heures… Il n'est que 14:43 heures colonel. Vous ne croyez pas que vous pouvez lui laisser le bénéfice du doute jusqu'à ce soir ? Après tout, vous êtes bien encore là…" hasarda Hammond.
Il se gourmanda devant la gêne manifeste de son second. Il avait probablement encore invité Carter à cette fameuse partie de pêche dont parlait toute la base, et elle avait certainement encore refusé…
Il contint à grand peine un sourire. Il détailla le colonel dont la détresse était palpable et fit un petit signe de tête pour l'encourager à avancer des explications plausibles à sa demande.
Ces deux-là était faits l'un pour l'autre. S'ils savaient rester discrets, il ne s'opposerait pas à une relation entre les deux officiers. Il était persuadé que Jack le savait.
Quant au major Carter, elle avait tendance à suivre les règlements au pied de la lettre. Sauf quand elle choisissait l'insubordination comme mode de fonctionnement. Avec O'Neill, elle était à bonne école.
"Je suis encore là parce que j'ai voulu m'assurer que le major Carter avait bien quitté la base," déclara Jack avec aplomb, mettant du regard Hammond au défit de le contredire, "… et j'ai trouvé le major Carter endormie dans son laboratoire. A deux heures de l'après-midi !" souligna-t-il.
"Vous l'avez réveillée et elle a refusé de se rendre à vos raisons ?"
"Non, non ! Je suis venu vous trouver tout de suite. Général, il faut battre le fer pendant qu'il est chaud. Après ce qu'a subi Carter pendant les dernières missions, il est temps qu'elle prenne un véritable repos. Elle doit lever le pied. Rester enfermée à la base ne…"
"Je vois colonel,"dit Hammond en décrochant son téléphone.
Le colonel avait tout de même raison sur un point : un militaire qui ne prend pas le temps de se reposer finit toujours par flancher.
Sam ne pouvait pas être sur tous les ponts à la fois. Il allait l'obliger à choisir. Il attendit plusieurs sonneries avant que quelqu'un décroche.
"Major Carter ? Je vous attends dans mon bureau."
*
Jack referma la porte de son casier et jeta son blouson sur son épaule. Il avait le sentiment d'avoir trahi son second mais il savait qu'il n'avait pas le choix. Les représailles seraient à coup sûr à la hauteur de sa trahison. Sam était tout à fait capable de lui faire la gueule pendant des mois. Peut-être pas aussi longtemps s'il arrivait à la faire rire…
Il se doutait que même si elle était sur la touche, ce n'était pas cette fois-ci encore qu'il pourrait lui demander de l'accompagner à la pêche.
Tant pis, se dit-il en haussant mentalement les épaules.
La prochaine fois.
Il allait quitter le vestiaire quand un bruit l'interrompit. Quelqu'un pleurait, il entendait hoqueter.
Bruyamment.
Il contourna les placards métalliques et hésitant, il passa la tête pour jeter un coup d'œil.
Carter ??
C'était Carter. L'indestructible, l'inoxydable, l'invincible Carter.
Il approcha, posa son blouson sur le banc et se pencha pour lui relever la tête.
"Vous n'allez pas vous mettre dans cet état parce que vous ne n'allez pas voir votre réacteur pendant quinze jours Carter," dit-il d'un ton enjoué.
Le visage dévasté de Carter le fit reculer. Il avait peut-être choisi la mauvaise manœuvre d'approche.
En tout cas elle ne l'avait pas giflé.
Carter n'aurait jamais giflé son supérieur.
Jack, tu t'es trompé de film.
Sam le regarda, totalement désemparée et se jeta dans ses bras.
"Mon colonel, je suis désolée," parvint-elle à articuler entre deux sanglots.
Il ne s'était peut-être pas trompé de film finalement.
Sam Carter s'accrochait à lui comme si elle était en train de se noyer. Incertain de la conduite à tenir, il se mit à lui donner de petites tapes de réconfort dans le dos. Elle se calma graduellement. Son corps fut agité d'un dernier frisson et elle se détacha du colonel en s'essuyant les yeux d'un revers de manche.
"Je suis désolée," répéta-t-elle en baissant la tête. "En plus, je dois être affreuse…"
Carter ? C'était Carter qui disait ça ?
Il devait avoir des hallucinations ! Carter, sa Carter, en train de s'excuser pour son apparence, ça s'était du nouveau.
Un scoop même.
Il pouvait compter sur les doigts de la main les fois où il l'avait vu faire un effort vestimentaire ou même se maquiller.
Non qu'elle en eut besoin pour être resplendissante et parfaitement séduisante…. De son point de vue.
"Vous êtes parfaite Carter. Si vous m'expliquiez ce qui se passe ?"
"Je ne sais pas si je peux mon colonel…"
"J'ai tout le temps Carter, nous sommes en permission, vous vous rappelez ?"
Elle hocha la tête. "Je sais. Ce n'est pas ça monsieur. Je… je vais avoir 36 ans," dit-elle d'une toute petite voix.
Ses yeux se remplirent de larmes à nouveau, mais elle continua vaillamment. Il ouvrit la bouche pour dire une sottise mais s'abstint. Elle le regardait droit dans les yeux à présent. Il la laissa continuer en l'encourageant d'une pression sur le bras.
Mon dieu, faites que personne ne rentre dans les vestiaires maintenant… pria Jack silencieusement.
"Je n'ai rien construit mon colonel. Vous comprenez ? Mon frère a une famille, des enfants… En guise de famille, j'ai mon labo, mon père quand il consent à oublier son devoir et la Tok'ra…"
"Je comprends Carter. Vous avez le temps."
"Non, vous ne comprenez pas ! Mon horloge biologique tourne !" s'exclama-t-elle avec de la fureur dans la voix.
Non pas ça, hurla Jack dans son for intérieur.
Carter n'allait pas devenir une caricature de ces témoins dont raffolent les magazines féminins? "Moi, Samantha Carter, major de l'US Air Force, j'ai décidé de parler à Cosmopolitan". Au secours !!
"Je vous remercie d'avoir fait pression sur le général Hammond. Pour la permission."
"Heu… Vraiment ?" Est-ce qu'elle le mettait en boîte ? Non elle avait l'air sérieux.
"Absolument mon colonel," dit-elle en se levant. "Il faut que je prenne une douche," dit-elle sans transition. "Vous m'attendez ?"
Quoi ?!! 'Vous m'attendez' ? Il n'était pas dans un film… c'était un soap opera ! Il fallait qu'il demande à Fraiser ce qu'elle lui avait prescrit… ou à MacKenzie.
"D'accord Carter," acquiesça-t-il prudemment. "Mais pas ici. Les vestiaires… si vous voyez ce que je veux dire…"
"Tout à fait mon colonel. On m'en parle encore," dit-elle en rougissant un peu. "J'en ai pour dix minutes. Je vous rejoins dehors."
"Sur le parking ?"
Elle hocha la tête sérieusement.
"Sur le parking."
*
La Volvo roulait à vive allure et Jack voyant l'arrière de la voiture de son second chasser dangereusement dans les virages les plus serrés. Il appuya sur l'accélérateur pour se rapprocher et lui fit des appels de phares. Il mit ostensiblement son clignotant et continua son manège jusqu'à ce que Carter consente à se ranger sur le bas-côté.
Il arrêta posément son pick-up derrière la petite voiture de sport et descendit à la rencontre de la jeune femme. Il la vit les bras sur le volant, la tête posé sur les bras. Son corps était soulevé de sanglots.
Encore ?!!
Décidément, il avait bien fait d'insister auprès de Hammond.
Elle était vraiment au bout du rouleau.
Il frappa à la vitre et ouvrit lentement la portière.
"Carter, descendez," ordonna-t-il d'une voix ferme mais douce. "Je vous emmène. Nous reviendrons chercher votre voiture plus tard ou nous demanderons à quelqu'un de la base de la conduire jusqu'à chez vous."
Elle ne bougea pas.
"Carter ?" insista-t-il en la prenant par le bras.
*
Satisfait, Jack regardait Sam pelotonnée devant la cheminée, une tasse de thé fumante entre les mains. Il n'avait pas été surpris qu'elle n'oppose aucune résistance quand il avait finalement arrêté son pick-up dans sa propre allée. Il s'était contenté de lui ouvrir la portière et de l'aider à descendre.
En dépit de son petit gabarit, Sam Carter irradiait une énergie palpable. Pas grand monde ne se serait frotté à elle quand elle était sur le terrain. Aujourd'hui, l'abattement de la jeune femme était tel qu'il arrivait à grand peine à déceler ce qui faisait d'elle le brillant officier qu'il avait sous ses ordres.
Il prolongea son observation silencieuse, parfaitement immobile. Un sourire flotta sur son visage tandis qu'il se laissait aller. Les coudes posés sur le comptoir, il avait le sentiment d'être parfaitement invisible.
Quant à elle, elle paraissait avoir oublié où elle se trouvait et surtout chez qui.
Le pourquoi viendrait certainement plus tard.
Abandonnant son interprétation réussie du chat du Cheshire, Jack se retourna vers le four qui sonnait bruyamment et sortit la pizza en se brûlant. Il grimaça en jurant entre ses dents et secoua sa main avant de la passer sous l'eau froide.
Toujours pas de réaction du côté de Carter.
Il attrapa deux verres et apporta le tout sur la table basse.
"D'attaque pour un casse-croûte Carter ? Après je vous fais le grand jeu !"annonça-t-il avant de repartir vers la cuisine chercher une bouteille de Chianti en lui tournant délibérément le dos.
"Le grand jeu mon colonel ?" finit-elle par murmurer, le rouge aux joues et une totale incompréhension inscrite sur son visage.
"C'est une soirée idéale pour observer le ciel Carter. Il doit y avoir une chute de météorites cette semaine. Préparez-vous à compter les étoiles filantes !"
"Celui qui en compte le plus gagne quoi ?" dit Sam d'une voix neutre en essayant vaillamment de couper la pizza.
Pris au dépourvu, Jack lui jeta un regard en coulisse.
"Je ne sais pas… qu'est-ce que vous proposez Carter ?"
"Faites attention mon colonel ! Ca pourrait ne pas vous plaire…" répondit-elle en se piquant au jeu.
"Si vous voulez parier que vous allez retourner à la base, c'est impossible Carter. Vous êtes persona non grata au SGC. J'ai même la signature de Fraiser sur un papier quelque part…"
Il se mit à fouiller dans les poches de sa veste et sortit une feuille de papier pelure jaune toute froissée. Il la lissa du plat de la main et la brandit sous le nez de la jeune femme. Elle mordit à pleines dents dans la pizza avec appétit.
"Mmmmm… je ne m'étais pas rendue compte que j'avais faim," dit-elle la bouche pleine. "Merci mon colonel."
"Ne détournez pas la conversation Carter," répondit Jack nonchalamment en s'asseyant sur le canapé en face d'elle. "On parie quoi ?"
"Je ne sais pas…. Vous avez une idée ?"
"J'en ai plusieurs, mais je doute qu'elles vous plaisent Carter."
"Laissez-moi deviner. La pêche ?"
"Oh non. Teal'c a adoré ça, mais je ne crois pas que ce soit votre genre après tout, Carter..." Il se pencha et prit son verre. "Surtout pas vous !"
"Pourquoi ?"
"Parce que je n'ai pas envie que vous m'accrochiez à votre tableau de chasse Carter," dit-il en levant son verre. Il agrémenta sa plaisanterie d'un clin d'œil. Il connaissait tous les deux le désert de la vie amoureuse de l'autre.
"C'est un coup bas colonel ! sourit Sam sans se formaliser.
Le colonel voulait lui faire penser à autre chose. C'est exactement ce qu'elle attendait d'un ami. Elle se rendait compte qu'elle s'était coupée de ses amis après son enlèvement.
Elle n'arrivait même pas à appeler ça par son nom.
Ils voulaient faire des expériences sur elle.
Sans la ténacité de Jack, elle leur aurait servi de cobaye. Elle réfréna son envie de pleurer. "Si je gagne, vous m'aidez à repeindre mon salon… et si je perds…"
"Si vous perdez ?" la taquina O'Neill.
"A vous de choisir, mon colonel. Je me rends !"
"Si vous perdez, nous verrons bien Carter," dit-il avec philosophie. Il s'assit, posa ses pieds sur la table basse et prit une tranche de pizza. "Nous avons le temps non ?"
Il la fixa en souriant. Elle lui rendit son regard. Si quelqu'un pouvait la sortir de l'enfer où elle était coincée par orgueil, c'était bien Jack.
Il soupira et alluma la télévision. D'un doigt expert, il commença à zapper en mastiquant consciencieusement la pizza.
*
Chtonk… chtonk… chtonk…
Sam se réveilla brusquement et tendit machinalement la main pour attraper son P90. Sa main ne rencontra qu'un objet froid à la consistance gélatineuse.
Pizza…
Elle se réveilla tout à fait.
Elle n'était pas en mission.
Elle n'était pas au SGC.
Elle n'était pas chez elle.
Oh, mon dieu elle était chez J… le colonel.
Elle avait dormi chez le colonel.
Elle s'assit rapidement sur le canapé, faisant tomber une épaisse courtepointe brodée et renversant au passage un verre à moitié plein.
Le vin se mit à dégouliner sur la moquette et elle jura entre ses dents en essayant de réparer les dégâts avec des serviettes en papier. Au passage, elle se tartina de sauce tomate et de fromage fondu.
Ce n'était pas l'idée qu'elle se faisait d'un réveil en douceur.
Elle plia soigneusement la couette et alla la poser dans le petit bureau. Elle ramassa les reliefs de leur repas et se regarda dans le miroir de l'entrée.
Elle avait une tête de déterrée.
Comment est-ce qu'elle avait pu s'endormir chez O'Neill ? Elle se souvenait qu'elle avait mangé, bu - un peu, beaucoup ? -, pleuré sur son épaule…
Ils avaient regardé la télévision. Elle se rappelait avoir vu Marilyn et Clark Gable dans les Misfits, puis plus rien.
Elle essuya la table et se versa un peu de café. Il était encore chaud.
Où était donc passé le colonel ? Certainement pas à la pêche. Elle ouvrit la porte-fenêtre et jeta un œil dans le jardin.
Chtonk… chtonk… chtonk…
"Bonjour Carter ! Bien dormi ?" l'apostropha Jack.
En pantalon de survêtement et débardeur, sa crosse de hockey sur l'épaule, il la regardait en souriant, très détendu, le soleil se reflétant dans ses yeux chocolat. Il s'essuya le front sur une serviette éponge qui traînait et alla à sa rencontre.
"Vous avez fait le tour du cadran Carter ! Vous vous sentez mieux ?"
"Oui, merci mon colonel. Je suis désolée mon colonel…"
"Carter, je vous en prie, arrêtez d'être désolée. Tout va bien. Vous avez raté les étoiles filantes, mais il sera encore temps ce soir," dit-il d'une voix désinvolte. "Je vais prendre une douche, je reprendrais bien un petit déjeuner avec vous, Carter."
"Oh… vous êtes levé depuis longtemps ? Je suis dés… Heu, je veux dire vous vous êtes levé tôt ?"
Mon dieu, qu'est-ce qui lui prenait de débiter des platitudes pareilles ? Elle baissa les yeux sur sa tasse et chercha désespérément une inspiration.
"Bah, vous me connaissez Carter, toujours sur la brèche, surtout en permission !" ajouta-t-il avec un clin d'œil avant de s'engouffrer dans la maison.
Au passage, il laissa derrière lui un sillage musqué de transpiration et d'eau de toilette. Elle ne put s'empêcher de se retourner pour le regarder.
Il était tellement différent du Jack qu'elle avait l'habitude de voir au SGC ou en mission. Plus détendu, plus attentif, moins enclin à faire des plaisanteries douteuses pour tourner ses compétences militaires en dérision….
Pas besoin d'être héroïque pour faire cuire une pizza, se dit-elle en souriant.
Elle était surprise qu'il soit capable d'écouter pendant toute une soirée une femme de -presque- 36-ans-qui-pétait-le-plombs.
Sans se plaindre.
Si seulement j'arrivais à me rappeler ce que j'ai pu lui raconter ! Qu'est-ce qui m'a pris de boire ? Avec tous les antidépresseurs que Janet m'a donnés…
Ma fille, il est temps que tu penses à autre chose. La situation n'a pas changé, tu es toujours sous ses ordres.
… Même s'il t'a prêté son épaule hier soir, ça ne change rien.
Décidée à prendre le taureau par les cornes, elle vida son café tiède d'un trait et alla poser la tasse dans le lave-vaisselle. Elle fit le tour du comptoir et s'accroupit devant le petit meuble de l'entrée pour chercher le numéro d'une compagnie de taxi dans l'annuaire. Il fallait qu'elle rentre chez elle le plus vite possible.
Pas la peine de rester ici à fantasmer.
Elle pouvait toujours revenir plus tard.
… pour les étoiles filantes…
SAMANTHA !! Arrête ça tout de suite !!
Son doigt courut sur les listes de noms et elle finit par trouver le numéro de la compagnie. Elle se releva et décrocha.
La voix du colonel O'Neill qui estropiait le "vesti la giubba e la faccia infarina" sous la douche résonnait dans le living-room.
Pas si mal pour un baryton, le colonel s'en sortait avec les honneurs. Elle s'imaginait mal en faire autant. C'est tout juste si elle arrivait à fredonner "casta diva" sans fausses notes en même temps que le disque.
Le colonel avait vraiment des talents cachés…
Elle rougit en réalisant quelles images mentales elle venait de se projeter insidieusement dans sa tête… les souvenirs de ce qu'ils avaient vécu sur la planète glacée, quelques mois plus tôt.
Bien sûr qu'elle le savait.
Rien ne servait de se voiler la face. Ils avaient fait l'impasse sur cet aspect de leur séquestration dans leur rapport et d'un commun accord, ils n'en avaient plus jamais reparlé….
Comme s'il était facile de tourner la page.
Leur séjour sous la glace l'avait instruite à maintes reprises sur les capacités et l'endurance du colonel. Leurs mémoires avaient été oblitérées par l'administrateur Calder, mais tout ce qu'ils avaient vécu pendant cette mission restait à jamais inscrit dans sa mémoire.
A fortiori après leurs aveux forcés devant Anise.
Elle avait surmonté tout cela.
Presque.
Une vague de regret l'envahit tandis qu'une boule douloureuse se formait au fond de sa gorge. Elle sentit que les larmes lui piquaient les yeux. Le général Hammond lui avait imposé le bon choix. Elle était pratiquement certaine que l'idée de ses vacances forcées lui avait été soufflée par le colonel. Janet avait promis qu'elle ne préviendrait pas le général tant qu'elle restait tranquille.
O'Neill s'était remis de sa blessure facilement. "A peine une égratignure," avait-il dit nonchalamment. Sans gilet pare-balles, il serait mort en la sauvant.
Les égratignures de l'âme ne se guérissent pas aussi vite, soupira-t-elle, les larmes aux yeux. Elle demanderait un autre rendez-vous à MacKenzie. Son évaluation avait laissé trop de choses de côté.
Pas étonnant après ce qu'elle venait de subir par la faute de Maybourne et à cause de la folie de Adrian Conrad, que son esprit se réfugie dans le fantasme.
Surtout quand l'objet de ce fantasme se trouvait à quelques mètres d'elle dans le plus simple appareil après une démonstration de mâle détermination sportive.
Surtout quand ce fantasme n'en était plus un depuis leur mésaventure en mission.
Mon dieu, est-ce que je pourrais reprendre un jour le service sans trembler ? se dit-elle. Tant que Jack est avec moi, fut la seule pensée cohérente qu'elle eut. Le combiné inutile à bout de bras, les épaules secouées par les sanglots, elle regardait sans le voir Pikes Peak dont le sommet enneigé émergeait du brouillard.
Quelqu'un la prit par la main.
"Venez vous asseoir et déjeuner avec moi. Ordre du colonel !" dit doucement Jack en l'entraînant dans la cuisine. "Voilà. Maintenant, préparez-vous à observer un vrai chef en action !"
Comme par miracle, des œufs brouillés, des saucisses et du bacon se matérialisèrent dans son assiette. Une généreuse cafetière fut posée à côté d'une pile de toasts croustillants. Deux verres remplis de jus d'orange les rejoignirent sur la table.
"Vous penserez à votre régime la semaine prochaine Carter. Vous avez l'air d'un orphelin cachectique. Un peu de graisses brûlées, de cholestérol et de sucre ne peuvent vous faire que du bien !" annonça-t-il en agitant sa fourchette.
"Merci mon colonel. Je suis…"
"Non Carter, vous n'êtes pas désolée ! Vous avez faim, vous êtes déboussolée, vous avez des bleus à l'âme et je suis là."
Sans détourner les yeux, il enfourna une gargantuesque portion d'œufs et soupira d'aise. Il avala et poursuivit, péremptoire.
"Mangez. Ensuite nous aviserons."
Elle hocha la tête et se mit à jouer avec sa nourriture.
"Carter !" menaça-t-il.
Elle lui sourit et se força à manger.
*
Sam passa la main dans ses cheveux et posa sur ses genoux son bouquet de fleurs des champs. Jack vérifia que la caméra était bien calée dans le vide-poche, prit ses lunettes dans la boîte à gant et les chaussa.
Il démarra en jetant vers elle un coup d'œil rapide. Le soleil couchant se reflétait dans les cheveux courts de sa compagne. Elle avait le rose aux joues, mais cela n'avait rien à voir avec le soleil couchant. Sam lui répondit par un sourire avec cet air de connivence qu'elle n'avait plus adopté à son égard depuis des mois.
Après un après-midi passé à se balader dans la campagne environnante, ils avaient réussi à faire revivre la solide amitié qui les avait liés bien avant qu'ils ne découvrent qu'ils partageaient un sentiment plus doux.
Sam soupira d'aise.
Elle se pencha pour allumer la radio et se mit à fredonner, à peu près en mesure et tout à fait faux. La voix de baryton du colonel fit écho à la sienne et bientôt ils rejoignaient les faubourgs de Colorado Springs en chantant à tue-tête dans la voiture.
Sans que Sam s'en rende compte, O'Neill emprunta la rocade et reprit la route qui montait vers Cheyenne Mountain. Il s'arrêta quelques kilomètres plus loin et fit prudemment demi-tour.
"Un problème mon colonel ?"
"Pas du tout Carter. Nous venons juste récupérer votre voiture."
"Oh…"
Il entendit le désappointement dans sa voix. Il résista à l'envie de la prendre dans ses bras et coupa le contact. La radio s'arrêta brusquement.
Sam se retourna vers lui et déclara joyeusement. "Je n'ai pas les clefs, monsieur."
"Moi si !" s'exclama Jack en agitant le trousseau qu'il venait de sortir de sa poche.
Elle se mordit la lèvre et ouvrit la portière, dépitée. "J'ai passé une très bonne journée mon colonel. Je vous remercie de m'avoir écoutée."
"Hé là Carter !! Où pensez-vous donc aller ? Je n'en ai pas fini avec vous !"
"Pardon mon colonel ?" Elle haussa le sourcil, autant réjouie qu'embarrassée.
"Ce soir, je vous emmène chez Janet. Cassie nous attend."
"Ah bon ?"
"Je ne vous l'avais pas dit ? Bah… vous êtes en vacances Carter. Profitez-en ! Vous m'aiderez à choisir le dessert. Qu'en pensez-vous ?"
"Daniel… et Teal'c ?"
"Daniel est avec SG-13 sur… P… je ne sais quoi, et Teal'c se passera de nous pour une fois. Laissez-vous tenter Carter. Une soirée entre filles, que diable, vous ne pouvez pas refuser !" insista le colonel, charmeur.
Sam retint à grand peine un éclat de rire. "D'accord. Si c'est entre filles… mais c'est moi qui choisirai le dessert."
"Parfait, je vous suis Carter, en route."
*
Cassandra avala la dernière bouchée de son cheesecake aux myrtilles et émit un soupir d'aise. "Je ne peux plus rien avaler," dit-elle en roulant des yeux ahuris.
"Ca tombe bien, jeune fille," la gronda gentiment Janet. "Je croyais que tu faisais un régime pour rentrer dans ton maillot de l'année dernière …"
"Oui, c'est vrai. Mais pas ce soir. C'était trop bon !"
Jack acquiesça silencieusement en essayant de racler le fond sa propre assiette jusqu'à ce qu'elle brille.
"Et puis je ne suis pas sûre de vouloir remettre ce vieux maillot…" tenta Cassie.
"Cassie pas ce soir!" la supplia Janet. "Je ne veux pas avoir cette conversation maintenant," elle regarda les deux autres avec un sourire d'excuse, "nous irons faire les magasins avec Sam. Elle est en vacances, n'est-ce pas Sam ?"
"Oui. Aux deux. Tu avais raison Janet. Je ne m'étais pas rendu compte que j'étais aussi…"
"Café pour tout le monde ?!" l'interrompit Cassie en se levant. Elle virevolta autour de la table et enleva les assiettes qu'elle emporta à la cuisine.
"Chut," prévint Janet en mettant un doigt sur ses lèvres. "Elle a eu beaucoup de mal à surmonter cette épreuve." Devant le regard interrogateur de Sam, elle ajouta, "Ton enlèvement ?"
"Oh," dit Sam à voix basse. "Tu as raison. Je suis dés…"
"Carter !" rugit Jack.
"Oops, pardon. Ca m'a échappé," s'excusa-t-elle. "J'aurais dû me douter qu'elle prendrait les choses assez mal. Tu veux que j'aille lui parler, Janet ?"
"Ca ne te dérange pas ? Elle était tellement désespérée quand elle a appris que tu avais disparu," dit Janet en posant sa main sur son bras.
"Non, non, pas du tout," dit Sam en se levant. Elle lissa les jambes de son pantalon, fit une petite grimace en direction de Janet et sortit à la recherche de Cassandra.
Janet la regarda s'éloigner pensivement et se tourna vers Jack avec des airs de conspiratrice.
"Alors colonel ? Comment ça s'est passé ?"
"Comme prévu," dit-il en levant le menton.
"Mais encore ?"
"Elle a beaucoup pleuré sur mon épaule, elle m'a parlé de Jacob, de sa mère, de Martouf," il leva les yeux au ciel, " de Jolinar…"
"Rien sur son enlèvement ?" s'inquiéta Janet.
"Pas encore. Soyez patiente, toubib ! Elle a encore du chemin à faire avant d'en arriver là. Elle a dormi chez moi," ajouta-t-il en baissant la voix.
"Chez vous ? Oh…" répondit Janet sur le même ton.
"Janet !! Il ne s'est rien passé," protesta Jack. "Elle a dormi sur mon canapé !"
"Oh…"
"Hé oui," grimaça Jack. "Elle était épuisée. Je l'ai trouvée prostrée dans les vestiaires."
"Prostrée ? Comment ça ? Elle est dépressive mais si c'est à ce point…"
"Hé, doc' du calme !" temporisa le colonel. "Je l'ai entendue pleurer alors je lui ai offert mon aide."
"… Qu'elle a acceptée… C'est bien," murmura Janet plus pour elle même que pour le colonel.
"Café !!" annonça Cassie, les yeux encore brillants de larmes.
"Qu'est-ce que c'est que ces messes basses ?" dit la jeune fille en se penchant à l'oreille de Jack qui prit immédiatement son air innocent.
Sam qui entrait avec un plateau chargé de tasses, regarda ses deux amis l'un après l'autre avec incertitude. Ces deux-là venaient de parler d'elle. Pourvu que le colonel n'ait pas raconté qu'elle s'était endormie chez lui. Sous le regard en coin de Janet, elle s'assit gauchement.
*
Sam se gara devant chez elle et éteignit les phares. Elle sortit de la voiture comme si elle avait le diable à ses trousses et alla ouvrir la porte de la maison. Ses pas qui crissaient dans le gravier la ramenèrent à la réalité.
Pourquoi est-ce qu'elle était revenue chez elle ? Cela faisait des semaines qu'elle retardait ce retour. Elle aurait dû profiter de l'offre de Janet et Cassie de rester dormir chez elles. Elles auraient regardé des vieux films en mangeant du pop corn avachies sur le canapé.
Ou se faire les ongles, comme au collège.
Se faire les ongles ??
Il était temps qu'elle dorme. Elle n'était pas dans son état normal. Elle ébouriffa ses cheveux et mit la clé dans la serrure. Elle tourna la poignée, entra et alluma la lumière.
Une odeur de renfermé la saisit à la gorge et elle laissa la porte d'entrée ouverte, hésitant sur le seuil. Elle hocha la tête en soupirant et commença son inspection. Ca ne pouvait pas être aussi déprimant que cela en avait l'air…
Parcourant la maison au pas de charge, elle mit en route la ventilation et ouvrit toutes les fenêtres les unes après les autres. Elle revint à son point de départ, ses pas résonnant dans la maison illuminée comme un sapin de Noël le soir du réveillon et s'adossa au mur de la cuisine.
Machinalement, elle ouvrit la porte du frigo et un citron moisi et un demi chou vert racorni la regardèrent, abandonnés sur la clayette.
Elle repoussa la porte et s'appuya sur le plan de travail, la tête dans les mains.
Elle n'avait rien à faire ici. Elle n'avait pas envie d'être là, pas plus qu'elle n'avait envie de rester chez Janet. Elle avait envie…
Non. Dans tes rêves Samantha.
Si encore elle avait en le droit de retourner au labo…. Les larmes se remirent à couler. Elle les essuya d'un geste rageur et fit l'inventaire de ses poches en jetant les flacons sur la table de la cuisine.
"Cochonneries !" murmura-t-elle.
A contrecœur, elle prit un autre comprimé bleu avec beaucoup d'eau et refit le tour du propriétaire, son verre à la main, refermant les fenêtres et éteignant les lumières au fur et à mesure de son passage. Dans la buanderie, elle eut un regard atone pour les vestiges des bricolages d'Orlin avant de basculer l'interrupteur. Elle montait l'escalier quand, prise d'une impulsion subite, elle posa le verre sur une marche, fit demi-tour et sortit en claquant la porte.
Les mains posées sur le volant, elle hésita un petit moment avant de mettre le contact.
Elle arrêta la petite Volvo derrière le pick-up et prit le plaid qu'elle gardait dans le coffre.
Ce n'est qu'après avoir fait le tour du pâté de maisons trois fois sans apercevoir aucune lumière dans la maison qu'elle avait finalement osé se garer dans l'allée.
Sans faire de bruit, elle monta sur le toit et s'installa.
Elle régla la lunette et commença à regarder le ciel. Elle n'arrivait pas à voir net à cause de la fatigue et surtout des comprimés qu'elle venait de prendre.
Tu es idiote. Conduire dans cet état… Tu fais vraiment n'importe quoi, ma pauvre fille.
Renonçant à ses observations, elle s'allongea sur la chilienne, remonta le plaid sous son menton et leva la tête vers le ciel.
*
"Service d'étage !" dit le colonel en posant un plateau à coté de Sam. "Carter, au bout de trois fois, ça devient une habitude. Pour aujourd'hui, vous avez encore le bénéfice du doute !"
Sam sursauta et ouvrit des yeux grands comme des soucoupes.
"Mon colonel ? Qu'est-ce que vous faites là ?" s'exclama-t-elle avant de s'apercevoir qu'elle s'était endormie à côté du télescope. Elle rougit comme une pivoine et rejeta la couverture.
"Carter, vous êtes sûr que tout va bien? Qu'est-ce que je fais là ?" Le colonel tendit le bras et fit un geste circulaire de la main. "Si c'est bien mon télescope, nous sommes sur mon toit… ce qui expliquerait ma présence ! La question est 'qu'est-ce que vous faites là'. Au nom du ciel Carter ! Vous auriez pu venir frapper au lieu de vous réfugier ici !"
Elle baissa la tête. Soit le hasard avaient mis les mots justes dans la bouche de O'Neill, soit il avait ce matin une perception particulièrement fine de ses problèmes intimes. Il fallait qu'elle réponde à cela. Qu'il ne se mette pas à se faire des idées.
Qui est-ce qui se fait des idées ici ? Il me semble que c'est toi Samantha Carter…
"Je ne voulais pas vous déranger mon colonel," murmura-t-elle d'une voix incertaine ajoutant un semblant de sourire à sa piteuse déclaration.
"Carter, il va falloir que vous trouviez mieux que ça pour me convaincre. J'étais persuadé que vous passiez la nuit chez Janet ? Non ?"
"Elle m'a demandé de rester, oui."
"Mais ?"
"Mais… je suis rentrée chez moi mon colonel."
"Effectivement. Ca me paraît évident maintenant que vous le dites Carter."
"Je veux dire… je suis rentrée chez moi et puis…"
"Vous êtes revenue ici, n'est-ce pas ? Je ne savais pas que vous aimiez à ce point mes petits déjeuners Carter…" Devant son air plus embarrassé que jamais, il ajouta. "A moins que ce soit pour me convaincre d'aller repeindre chez vous le plus vite possible. Votre maison doit être inhabitable pour que vous préfériez dormir sur mon toit au mois d'avril ! Allez, buvez, ça va être froid."
"Mon colonel ?"
"Carter, vous n'allez pas me dire que vous êtes désolée ?"
"Non… Merci, mon colonel. Je ne sais plus où j'en suis…"
"Ca baigne Carter. Je ferais la même chose pour Daniel ou pour Teal'c si l'occasion se présentait."
Elle sourit en imaginant Teal'c sangloter sur l'épaule de Jack. "Je sais."
"Je ne suis pas sûr que Teal'c aimerait cueillir des fleurs mais on pourrait toujours essayer…" commenta Jack qui avait eu la même idée. "Quand vous aurez fini Carter, laissez tout ça et descendez prendre un bain. Ca vous détendra."
"Mais mon…"
"C'est un ordre major !" dit-il avant d'enjamber la rive du toit. "Je vais vous faire couler un bain. Un point c'est tout !" ajouta-t-il.
Elle vit une touffe de cheveux hirsutes disparaître et sourit. Qui aurait imaginé que le colonel puisse avoir un comportement domestique ? Sara devait terriblement lui manquer, se dit-elle.
Non, décida-t-elle. Si quelqu'un lui manque ce n'est pas Sara… Peut-être le lieutenant Bella MacIntosh ? Elle lui tournait autour ces derniers mois. Daniel m'a dit qu'il pensait que le colonel…
Samantha, ne recommence pas.
*
Jack faisait couler le bain en cherchant les sels d'un air absent. Il n'était pas adepte des bains mais Bella avait sûrement laissé tout un attirail dans ses placards. Il n'avait jamais vu une fille passer autant de temps dans une salle de bain. Son visage s'éclaira quand il mit la main sur un flacon contenant des billes de bain irisées.
"Noix de coco et vanille…" murmura-t-il en ouvrant le flacon. Il renifla et satisfait jeta quelques billes dans l'eau. Il agita l'eau jusqu'à ce qu'un mousse parfumée se forme à la surface.
Il sortit deux serviettes propres, vérifia que rien ne traînait en dehors du panier de linge sale et arrêta l'eau. Il sortit de la salle de bain et entendit Sam qui rentrait dans la maison par la porte-fenêtre. Il alla l'appeler du haut de l'escalier.
"Carter ! Vous êtes là ? Vous tombez à pic. Par ici," dit-il en lui désignant une porte au premier.
Sam monta le rejoindre et se retrouva dans la chambre du colonel. Elle hésita sur le seuil mais le colonel paraissait suffisamment à l'aise avec l'idée qu'elle soit dans sa chambre pour qu'elle se laisse persuader de la traverser pour aller prendre un bain. Après tout, ils avaient été intimes pendant des semaines sans le recours d'aucune drogue ou d'aucun gaz toxique d'origine extra-terrestre… Elle le remercia du bout des lèvres et referma la porte de la salle de bain derrière elle. Elle s'adossa à la porte et se laissa glisser par terre.
Ses mains entourèrent ses genoux et elle resta pensivement à fixer le miroir en face d'elle.
Ils avaient été amants et n'en avaient jamais reparlé… Sauf à la manière des militaires. Comme de quelque chose qui ne doit pas remonter à la hiérarchie, ni apparaître dans les rapports. Daniel avait essayé d'en discuter avec elle. Elle avait évidemment refusé.
Seulement les choses avaient changé. Elle ne pouvait plus faire comme s'il ne s'était rien passé. Plus maintenant. Elle venait d'échapper à la mort et Jack avait failli y laisser sa vie en la secourant. Ils n'étaient pas des dieux.
Ils n'étaient pas immortels.
Cette pensée la frappa. Elle avait toujours pensé qu'ils étaient immortels.
Invincibles.
SG-1, le fleuron de l'Air Force, le fer de lance de la lutte contre les Goa'Ulds.
… Et s'il leur arrivait quelque chose. Si Jack mourait ? Est-ce qu'elle serait capable de l'accepter ? Janet lui avait raconté que Jack était devenu violent à plusieurs reprises dans son infirmerie face à son impuissance à guérir sur le champ les membres de son équipe. Le coma de Daniel, sa désagréable expérience face à l'entité… Sans la détermination du colonel, elle serait bel et bien morte cette fois-là et certainement toutes les autres…
Il fallait absolument qu'elle lui parle. Elle savait bien qu'il faisait des efforts considérables de son côté pour faire comme si rien ne s'était passé entre eux.
C'était à elle de faire le premier pas.
Jack lui avait avoué ses sentiments à plusieurs reprises sans se cacher. Il était temps qu'elle en fasse autant avant qu'il ne soit trop tard. Ayant pris sa décision, elle ôta ses vêtements le cœur plus léger et s'immergea dans la baignoire. Un gémissement de contentement s'échappa de sa bouche et elle ferma les yeux, répétant dans sa tête les mots qu'elle allait lui dire.
*
Jack descendait l'échelle, le plaid de Carter sur l'épaule et le plateau du petit déjeuner dans une main quand la sonnerie du téléphone l'interrompit dans sa rêverie éveillée. Il jura en trébuchant sur le pas de porte et se précipita pour décrocher. Le plateau rebondit sur la table basse.
"O'Neill," jeta-t-il dans le combiné d'un ton rogue.
"Jack ? Qu'est-ce vous faites ?" demanda la voix juvénile et impatiente du docteur Daniel Jackson à l'autre bout du fil.
"Comment ça qu'est-ce que je fais ? Depuis quand est-ce que cela vous regarde Daniel !" commença le colonel fâché d'avoir été surpris perdu dans ses rêveries. "Daniel ?! Ne me dites pas que nous sommes le 24 ? Oh, merde ! Je suis désolé Daniel. Un détail à régler et je vous rejoins !"
"Jack, vous êtes sûr que ça va ?"
"Je vous expliquerais Daniel. Laissez-moi une heure," dit Jack avant de raccrocher.
Comment est-ce qu'il avait pu oublier cela ? La conférence de Daniel à Philadelphie… A quelle heure partait ce fichu avion ? Pas le matin, il l'aurait juré. Bon sang, où donc avait-il fourré ce foutu billet…
15 heures 50 à l'embarquement. Soit pratiquement 7 heures devant lui. Il décrocha nerveusement le téléphone.
"Delta Airlines ?…"
*
"Oui…" dit Sam paresseusement. Elle s'était rendormie dans l'eau chaude. Elle était froide maintenant. Les coups reprirent derrière la porte et elle haussa la voix. "Oui ?!"
"Carter ? Vous êtes décente ? J'ai une proposition à vous faire !" cria Jack. "J'entre !" prévint-il en ouvrant la porte la tête tournée vers la chambre. "Je dois accompagner Daniel à Philadelphie pour un de ses congrès… vous savez, quoi, enfin, bon… J'ai pris la liberté de prendre un billet pour vous sur notre vol. Alors ?"
Malgré lui, il se retourna vers la jeune femme et embrassa du regard ses épaules laiteuses et la naissance de ses seins hors de l'eau. Les souvenirs du corps de Thera contre le sien affluèrent, lui coupant le souffle. Il détourna les yeux en hâte et reprit. "Ca vous dit Carter ? Une petite virée chez les WASPs entre mecs ?"
Carter eut un petit rire de gorge. "Entre mecs ? Comment refuser une invitation aussi prometteuse mon colonel ? Mais je ne peux pas y aller toute nue…"
Jack rougit. Il haussa les épaules et demanda d'un ton neutre.
"Vous voulez passer chez vous ?"
"Je doute que je trouverai ce qui me conviens dans vos placards mon colonel," se moqua gentiment Sam.
"Excusez-moi. Je suis idiot. Daniel… J'avais complètement oublié ce congrès. Il vient juste d'appeler…"
"Vous pouvez me passer la serviette mon colonel ?"
D'un air absent, Jack lui passa la serviette, perdu dans ses pensées. Il fallait qu'il fasse sa valise, probablement qu'il prévoit un costume et des cravates et… Mon dieu, Carter est en train de sortir de la baignoire ! Il bredouilla une excuse et se prit les pieds dans le tapis de bain avant de glisser sur une flaque.
Enveloppée dans le drap de bain, Sam enroula posément une serviette sur ses cheveux et lui tendit la main.
"Besoin d'aide mon colonel ?"
Il marmonna et se releva en lui lançant un regard noir. Elle lui sourit de ce sourire, vous savez, CE sourire-là, et il éclata de rire.
"La pensée de toutes ces mondanités ne me dit rien qui vaille Carter," murmura-t-il en se relevant.
"Ne vous inquiétez pas mon colonel. Je vous défendrais," dit-elle. "Est-ce que je peux vous emprunter un t-shirt et un survêtement…?"
*
Jack se regardait dans le miroir derrière le bar le dos résolument tourné à la salle. Un homme définitivement sur le mauvais côté de la quarantaine pour ne pas dire un vieillard. Il porta à sa bouche le goulot de sa bouteille de bière et se décida à se retourner sur son tabouret.
Un pub tout ce qu'il y a de plus conformiste. De la musique discrète, de la moquette bien épaisse, des alcôves dans l'obscurité, lumières tamisée, escort girls à 3000 dollars la soirée. Une rousse perchée sur des talons aiguilles se frotta à lui en laissant une traînée parfumée derrière elle. Impressionné, Jack faillit se retourner pour la suivre du regard quand une voix l'interrompit.
"Mon colonel ? Je prendrais bien la même chose que vous," dit Carter en se perchant sur le tabouret voisin. "J'ai bien cru que je ne vous retrouverais jamais."
"C'est moi qui vous aurai retrouvé, vous avez les clefs de l'hôtel !" répondit-il d'une voix plus intime qu'il ne l'aurait voulu en faisant signe au barman.
Sam décida de prendre sa plaisanterie au pied de la lettre. "Je pensais que je serais obligée de perdre un escarpin pour vous mettre sur la piste, mais je vois que vous êtes bien plus pratique que moi mon colonel," sourit-elle.
"Je n'avais pas idée que vous possédiez ce genre de vêtements Carter," dit-il platement en reprenant une gorgée de bière, détaillant sa tenue sans vergogne. Un caraco brodé en soie sauvage bleu myosotis couvrait ses épaules nues. Il pouvait voir une des fines bretelles de sa robe de mousseline glisser sur sa peau. Une perle en goutte d'eau brillait à son cou.
Elle se servit sa bière posément et fixa son regard clair sur Jack. "J'avais acheté pas mal de choses quand j'étais en représentation avec Joe…" répondit-elle dans un souffle sans baisser les yeux.
"Faxon… J'aurais pu me douter," gronda Jack en s'agitant sur son siège. Il y avait quelque chose qui le dérangeait chez cet ambassadeur. Il savait que Sam culpabilisait parce qu'elle estimait l'avoir abandonné et trahi, mais pour son compte, il n'avait jamais fait totalement confiance au bonhomme. Non qu'il souhaitât qu'il disparaisse dans des circonstances aussi dramatiques, mais il représentait une menace pour Carter. Sans qu'il soit capable de dire pourquoi. Son sixième sens ne le trompait que rarement. Il brisa le contact et se tourna vers la salle, laissant son regard errer vers les ombres. "Vous avez une idée du temps que cela prendra à Daniel pour nous retrouver ?" dit-il, changeant de sujet.
"Oh… Daniel doit nous retrouver ?"
Il entendit la déception dans sa voix avant qu'elle ne se reprenne. "Je ne sais pas mon colonel. Il n'en était qu'au début de son exposé quand j'ai quitté l'amphithéâtre."
"Je suis incapable d'assister à ce genre de messe Carter. De toute façon, le bruit de mes ronflements aurait sûrement dérangé les congressistes," ajouta-t-il avec une grimace en haussant les épaules. "Une autre ?"
Elle secoua la tête. Ses boucles d'oreilles brillèrent dans la pénombre feutrée. "J'ai assez bu pour ce soir mon colonel. Vous savez, je prends toujours ces médicaments…"
"OK. Désolé, je suis un imbécile Carter. J'aurais pu le deviner sans que vous soyez obligée de me le rappeler."
Maintenant, le colonel était en colère. Elle n'arrivait pas à savoir ce qui avait provoqué ce changement soudain de comportement après ces trois jours idylliques. Est-ce que c'était quelque chose qu'elle avait fait ? Ou dit ? Ou simplement les vêtements que le colonel devait porter pour l'occasion ? Comme pour lui donner un indice, Jack passa un doigt à l'intérieur du col de sa chemise.
"Vous croyez que nous pouvons aller dîner sans lui ?" demanda-t-il avec un air de conspirateur. "J'ai un petit creux…"
Sam sourit. Les petits creux du colonel O'Neill étaient célèbres. "Pourquoi pas mon colonel…"
"Carter ? Vous pourriez laisser tomber le colonel tant que nous sommes à Philadelphie…"
Drôle de façon de formuler les choses. Il n'arrivait même pas à l'appeler autrement que Carter lui-même. Sam… C'était trop intime. Si Daniel avait été avec eux, c'aurait été différent. Après tout, l'archéologue l'appelait Sam, il aurait suffi de suivre le mouvement. Il se leva et lui tendit la main. Elle se laissa faire, impressionnée par cette soudaine prévenance. La galanterie était une chose à laquelle elle n'était pas habituée. Elle eut un pincement de cœur en pensant à Joe. Exactement le genre d'attention qu'il aurait eu… Les yeux remplis de larmes, elle descendit de son tabouret en évitant le regard de son supérieur. Il ne fut pas abusé une seconde. Il lui releva le menton et plongea ses yeux sombres dans les siens.
"Sam ?" dit-il avec de l'inquiétude dans la voix. "Ca va ?"
Quel crétin il était ! Il la faisait venir jusqu'ici pour lui changer les idées et tout ce qu'il était capable de faire, c'était de piquer crise de jalousie pour des sottises. C'est bien ce dont elle avait besoin en ce moment. Bel exemple d'amitié entre officiers…
Amitié ? Elle lui avait clairement fait comprendre qu'il n'y aurait jamais autre chose entre eux. C'est tout ce qu'il souhaitait. Rester son ami. Etre l'ami d'une femme comme le major Carter, c'était déjà un sort plus qu'enviable. Il posa la main sur son coude et la guida doucement vers la sortie. Elle hocha la tête et essaya de sortir un mouchoir d'un réticule assorti à sa robe. Jack lui tendit sa pochette et elle le remercia en souriant à travers ses larmes.
"Merci mon colonel. J'ai l'impression de passer plus de temps à pleurer qu'à faire quoi que ce soit d'autre en ce moment," murmura-t-elle. "Je suis désolée de vous imposer ça."
"Vous ne m'imposez rien et c'est Jack ! Allons-y Carter. J'ai vraiment faim," dit-il d'un ton bourru.
*
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et Jack s'effaça pour laisser passer Sam. Il avait un peu trop arrosé son repas et même l'air frais sur le chemin du retour ne l'avait pas dégrisé. Bien qu'il restât parfaitement maître de soi en apparence, il ne contrôlait plus ses émotions. Le parfum de Sam dans l'espace confiné de cet ascenseur avait été le coup de grâce.
Il soupira, les yeux inexorablement attirés par les jambes de Carter, découvertes de manière parfaitement incongrue. Ce n'était pas comme s'il n'avait jamais vu ses jambes. Pourtant, elles le narguaient du haut de ses sandales à fines lanières. Sa cheville paraissait totalement fragile. En outre, il ne pouvait s'empêcher de trouver particulièrement excitant le vernis à ongles rouge sang sur ses orteils.
Il se gifla mentalement pour échapper à ce cauchemar.
C'est Carter au nom du ciel ! La femme que tu aimes. Celle dont tu veux plus que tout rester l'ami fidèle et l'épaule sur laquelle elle pourrait pleurer aussi longtemps qu'elle en aurait envie. Pas une fille de rencontre, que tu vas culbuter dans le premier hôtel venu ! Ressaisis-toi bon sang !
Inconsciente de la tourmente qu'elle déclenchait, Sam se retourna vers lui en souriant.
"Ouf ! Je n'arrive plus à marcher avec ses talons. Le manque d'habitude… Vous croyez que…" Elle s'appuya sur lui et retira prestement les chaussures. "Oh… c'est mieux," souffla-t-elle en jetant un regard mutin autour d'elle. "Je vous offre un dernier verre Jack ? Il doit bien y avoir un mini-bar dans la chambre," dit-elle en faisant coulisser la carte dans son encoche. La porte s'ouvrit.
Jack savait ce qu'il avait à faire. Elle attendait : la réponse était évidente. Dans l'état où il était, il n'était pas certain d'arriver à se maîtriser… et s'il craquait, s'en était bien fini de ses grandes idées d'amitié avec Carter. Il n'y avait qu'une chose à faire. Décliner son invitation… aller dormir, enfin essayer de dormir. Si Daniel était rentré, il irait peut-être même pleurer sur son épaule. Bonne idée, se dit-il. Après tout c'était bien son tour de pleurer sur l'épaule de quelqu'un !
"Pourquoi pas ?" s'entendit-il dire à son corps défendant. "Mais juste un…"
Elle entra et alluma la lumière. "Oh, un peu violent, vous ne trouvez pas ?" remarqua-t-elle en lançant ses sandales de l'autre côté de la pièce.
La main en visière au-dessus des yeux, Jack hésitait sur le pas de la porte. Il sentait qu'il allait avoir vraiment mal à la tête, et pas seulement à cause de l'alcool qui circulait dans ses veines La lumière baissa d'un cran. Carter se jeta sur le lit et entreprit d'examiner le contenu du bar à plat ventre, ses jambes nues battant dans le vide. Est-ce que c'était lui ou est-ce qu'elle était tellement différente ce soir de la Carter qu'il connaissait? Il entra et ferma la porte, en pleine confusion.
"Nous avons de la vodka, du scotch, du martini, beurk… de la bière, du Perrier… Jack ? Vous êtes là ?"
Pourtant, il était certain qu'elle n'avait pas bu. A part une bière dans le premier bar. Il avait bu pour elle. C'était sans doute l'effet des antidépresseurs de Fraiser. Il s'affala dans un fauteuil au lieu de prendre ses jambes à son cou.
"Un whisky, Carter. Ce sera parfait. Dommage que je ne fume plus. Ce soir, j'aimerais bien m'en griller une petite."
Elle lui tendit un gobelet en plastique et y versa le contenu de deux mignonnettes.
"A la vôtre mon colonel," dit-elle en levant son eau minérale. "Ca ne vous ennuie pas si je me change ? J'ai un peu froid et j'ai l'impression d'être quelqu'un d'autre…"
Elle se leva vivement et enleva son caraco. Tout en marchant, elle fit descendre la fermeture à glissière de sa robe de cocktail. Jack la suivit des yeux, interdit. Elle entra dans la salle de bain et laissa la porte entrouverte.
"Je n'ai vraiment plus l'habitude de me déguiser comme ça. Je me demande comment je faisais quand je travaillais encore à Washington," lui dit-elle en haussant le ton pour qu'il puisse l'entendre.
Le crissement du tissu soyeux qui tombait sur le carrelage le fit serrer les dents. "Vous faisiez sans doute comme moi Carter…" jeta-t-il. "Vous vous mettiez en uniforme."
"Oh, je ne savais pas que vous aviez travaillé à Washington, monsieur…" Sa voix fut couverte par le bruit de l'eau qui coulait.
"J'ai fait pas mal de choses que vous ignorez Sam," murmura Jack en se levant pour se resservir. "Des choses que je voudrais bien ignorer moi aussi."
Il soupira et regarda le whisky couler dans son verre. Il fit tourner le liquide ambré et s'avança vers la salle de bain.
"Je ne vous ai pas entendu Jack," jeta Sam en arrêtant l'eau. "Oh, vous êtes là ? Vous m'avez fait peur."
Elle lui lança un regard incertain. La faible lumière de la chambre accusait les traits du colonel et ses yeux disparaissaient presque entièrement dans l'ombre de ses sourcils en broussaille. Il tenait son verre à la main, les yeux fixés dans le vide.
"Jack ?"
"Désolé. Je ne sais plus ce qu'on disait… Ah oui… Washington !"
Il releva la tête et perdit d'emblée une dizaine d'années.
Un soupir de soulagement s'échappa de la poitrine de Sam. "Excusez-moi monsieur si j'ai dit…"
"Ce n'est pas vous, Sam," répondit-il d'un air las en passant la main dans ses cheveux courts. "Ca m'a remis en mémoire des choses pas très jolies… Ca n'a rien à voir avec vous." Il se rapprocha encore de la salle de bain. "Toutes ses années à jouer à la guérilla en Amérique Centrale et en Asie… A faire la navette entre le Pentagone et Langley. Toutes ces années de ma vie où je n'ai pas existé…" il secoua la tête. "Bah… c'est pour ça que j'étais en uniforme. Pas la peine de réfléchir. Il suffisait de tendre le bras et de prendre n'importe lequel dans la penderie."
Auréolée de lumière, elle sortit de la salle de bain en se séchant les cheveux avec une serviette de l'hôtel. "J'ignorais que vous aviez des points communs avec Albert Einstein monsieur," sourit-elle.
En dépit de son ivresse, il reconnut les efforts de la jeune femme pour dédramatiser la situation. "Vraiment Carter ?" dit-il en adoptant à dessein l'expression qui la faisait craquer. Il fut satisfait de voir que ça marchait. Il la suivit et retourna s'asseoir sur le fauteuil pendant qu'elle s'installait en tailleur sur le lit en continuant à se frotter le crâne énergiquement.
"Einstein ne voulait pas perdre de temps à choisir ses vêtements tous les jours," expliqua-t-elle. "Alors son armoire était remplie de chemises et de complets vestons identiques. Ainsi quand ils étaient sales, il passait au suivant et ainsi de suite." Elle jeta la serviette sur le lit et se passa les mains dans les cheveux. "Ah, ça va mieux," soupira-t-elle.
O'Neil ne pouvait détacher ses yeux de Sam. Les bras levés, dos à la lampe de chevet, sa silhouette se découpait dans la lumière avec la précision d'une ombre chinoise. Il devinait sa poitrine menue dans la chemise d'homme et son jean déchiré accentuait la longueur de ses jambes. Ses pieds se cambrèrent quand elle s'étira et le vernis à ongles attira son regard comme un aimant.
Il posa doucement le verre sur le guéridon à côté de lui et se leva lentement.
Jack, mon petit père, c'est l'heure de partir avant de provoquer une catastrophe. Répondant à ses prières, Sam bailla avec énergie.
"Et bien major, je suppose qu'il est l'heure de dormir." Il consulta sa montre ostensiblement pour se donner une contenance et grimaça. Il se dirigea vers la porte et se retourna pour se retrouver nez à nez avec son second.
"Merci Jack, j'ai vraiment passé une excellente soirée. Ne vous inquiétez pas pour Daniel. Il a certainement retrouvé son chemin."
Elle baissa la tête en soupirant. Le cœur de O'Neill fit un bond dans sa poitrine. Daniel était bien le cadet de ses soucis pour le moment. Il battit prudemment en retraite et ouvrit la porte.
"A demain," dit-il en se retournant.
Sam l'avait suivi. Sans réfléchir, il se pencha et l'embrassa sur la joue. Elle tourna légèrement son visage vers lui et se rapprocha dangereusement. Toutes ses barrières, déjà affaiblies par l'alcool, tombèrent à cet instant. Il la plaqua contre le mur et maintenant son visage à deux mains, il se mit à l'embrasser passionnément. A sa grande surprise, Sam répondit avec fougue à son baiser. Il la prit dans ses bras et la poussa dans la chambre en claquant la porte avec son pied.
Sam commença à se débattre. Il ne s'arrêta pas.
"Jack, non !" dit-elle en tentant d'échapper à son emprise.
Il la fit tomber sur le lit. Elle continuait à se débattre, incapable de se dégager. Jack pesait beaucoup trop lourd.
"Jack, non ! Pas comme ça…. Arrêtez ! S'il vous plaît…"
Au nom du ciel, qu'est-ce qu'il était en train de faire ? Il était en train de la violer. Ni plus ni moins. Soudain dégrisé, il la regarda horrifié qui se débattait sous lui et se releva comme un ressort en balbutiant des mots incohérents. Pendant un instant, elle ne bougea pas, allongée en travers du lit, ses yeux bleus affolés le fixant sans comprendre.
Incapable de s'expliquer ou de s'excuser, Jack sortit en claquant la porte sans répondre à Sam qui criait son nom.
*
"Et c'est tout ?" dit Daniel en étouffant un bâillement.
Prostré, la tête dans les mains, Jack hocha la tête. "C'est tout."
"Si vous voulez mon avis, ce n'est pas très grave. Vous aviez bu… heu… Sam est une grande fille. Elle vous a rejeté uniquement parce…"
"Daniel !! C'est mon second !"
"Je ne vois pas le rapport," s'insurgea Daniel.
"Bon d'accord, je ne sais pas pourquoi je suis en train d'avoir cette conversation," dit Jack en se levant.
"Bien sûr que si vous le savez Jack. Sinon vous ne m'auriez pas réveillé à …. 4 heures 18 du matin !"
Jack se rassit. "Vous croyez que je dois aller lui parler ?"
"C'est vraiment ce que vous avez envie de faire ? Lui parler ? Jack, vous insultez mon intelligence !" dit Daniel en se levant pour aller se faire couler un verre d'eau. Il se gargarisa une minute puis revint s'asseoir en face de Jack. "Il n'y a rien que vous ne puissiez faire cette nuit… si ce n'est finir ce que vous avez commencé…"
"Je ne peux pas faire ça !"
"Je ne peux pas le faire à votre place Jack !" lui fit remarquer Daniel d'un ton acerbe.
"C'est malin…"
"Oui, assez… enfin je trouve," dit Daniel en plissant les yeux. "Autre chose Jack ? Un petit câlin ?"
"Ne vous foutez pas de moi Daniel. On voit bien que vous n'êtes pas dans l'armée !"
"Dieu m'en préserve," murmura le jeune homme en remontant ses couvertures. "Jack, si vous ne retournez pas voir Sam cette nuit, au moins arrêtez de boire ? D'accord ? Heu… au fait Jack ?"
"Oui ?"
"Eteignez la lumière en sortant."
*
Jack leva la main mais son doigt s'arrêta à quelques centimètres du battant. Il se remit à faire les cent pas devant la porte de Carter en répétant son petit discours.
Finalement, il revint face à la porte et frappa sèchement.
"Carter ? C'est moi… C'est O'Neill." Seul le silence lui répondit. Il insista. "Sam ?"
Rien. Elle devait dormir. Il hocha la tête et prit l'ascenseur. Peut-être trouverait-il un bar ouvert.
Après tout Philadelphie était une grande ville.
*
"Docteur je vous assure que c'est à cause de moi !" s'exclama Jack en la regardant d'un air pitoyable. "J'ai fait… enfin, c'est ce que j'ai fait.. vous comprenez…"
"Rien du tout colonel," jeta Fraiser en s'asseyant derrière son bureau. Elle adopta une attitude professionnelle, posa son stéthoscope sur le bureau et croisa les jambes. "Vous allez commencer par le commencement. Je suis sûre que je vais tout comprendre, colonel. Calmez-vous," dit-elle d'une voix apaisante. Le colonel avait une mine de papier mâché et à en juger par son haleine chargée, il n'avait pas sucé de la glace la veille au soir…
"Et c'est tout ?" s'étonna Fraiser.
"Vous n'allez pas faire comme Daniel !" s'énerva O'Neill.
"Colonel," commença Janet en se penchant vers lui, "je ne vais pas tourner autour du pot. Je ne suis pas seulement le toubib de la base, je suis aussi l'amie de Sam. Quand vous êtes revenus de la planète de glace," elle marqua une pause, le temps de s'assurer que Jack avait toute son attention, "Sam m'a fait des confidences. En tant que son médecin attitré, elle m'a aussi demandé de pratiquer un test de grossesse."
Jack releva la tête brutalement, les yeux étrécis. Elle secoua la tête.
"Il était négatif colonel," assura Fraiser. "Si j'avais des doutes sur les sentiments que vous aviez l'un envers l'autre, vous m'aviez tous les deux fourni la réponse pendant le test qu'Anise a pratiqué sur vous. Donc effectivement, la seule remarque que je puisse faire colonel O'Neill, c'est qu'il ne s'est rien passé de plus à Philadelphie."
"Mais Doc' ! Elle a disparu !"
"Vous n'en savez rien. Daniel est persuadé qu'elle est allée retrouver d'anciens amis à Washington ou à New York. Il me semble l'avoir entendu dire qu'une de ses meilleures amies habitait dans le Connecticut. Ne vous inquiétez pas comme ça. Quand elle ira mieux, elle reviendra. Vous vouliez qu'elle prenne des vacances… "
"Pas la poudre d'escampette !"
"Si ça ne vous ennuie pas colonel, j'ai du travail qui m'attend. Arrêtez de vous mettre martel en tête. Profitez de votre permission. Il paraît qu'il fait un temps superbe. Allez donc pêcher, bougez-vous. Sam est une grande fille !" dit-elle en se levant.
Elle fit sortir O'Neill de son bureau et ferma la porte derrière lui sans ménagement. Si Sam ne l'avait pas appelée la nuit précédente, elle n'aurait pas été aussi sûre d'elle. Elle lui avait fait promettre de ne rien dire. Apparemment la jeune femme souhaitait mettre autant de distance que possible entre elle et son supérieur. En revanche qu'elle exprime l'idée de quitter le programme de la porte des étoiles paraissait surréaliste à Janet. Comme elle venait de le dire à O'Neill, Sam était une grande fille. Elle ferait le meilleur choix.
Elle prit son stéthoscope et sortit faire sa ronde.
*
"Entrez," dit Hammond. Il leva les yeux du rapport qu'il était en train de lire et sourit. "Jack, qu'est-ce que je peux faire pour vous ? Je vous croyais en train de taquiner le brochet !"
"La perche, mon général…"
Hammond lui fit signe de s'asseoir et attendit.
"Mon général, je me demandais si vous m'autoriseriez à me rendre sur Vorash…"
"Vorash ?" s'étonna le général. "Je croyais que vos sentiments pour les Tok'ras étaient sans ambiguïté, mon garçon. Pourriez-vous m'expliquer ce revirement soudain ?" Il se cala dans son siège, les mains croisées sur son estomac. Les explications du colonel n'allaient certainement pas manquer d'intérêt. Il vit que O'Neill hésitait. "Un problème colonel ?" ajouta-t-il soudain plus attentif.
"Je ne crois pas mon général. Je voudrais m'entretenir avec le général Carter." Si O'Neill attendait que Hammond lui sorte les vers du nez, il en fut pour ses frais. Il fit une courte pause et reprit son souffle. "Mon général, je suis dans l'obligation de rapporter la disparition du major Carter," dit-il d'une traite.
"La disparition ? Elle est en permission n'est-ce pas ? Pour raisons médicales… Rien ne l'oblige à vous informer de l'endroit où elle se trouve colonel," dit Hammond sèchement. Au diable toutes ses régulations. Si O'Neill perdait les pédales, il pouvait faire une croix sur SG1. "Qu'est-ce qui vous fait croire qu'elle a disparu ?"
"Permission de parler librement mon général ?"
Le général acquiesça.
"Daniel et moi étions avec elle à Philadelphie hier. Elle est partie de l'hôtel sans nous prévenir, mon général."
"Quelque chose d'autre Jack ?"
"Non, mon général."
Hammond regarda pensivement son second. Il connaissait les sentiments de O'Neill pour le major Carter et savait que la réciproque s'appliquait. Pour sa part, il avait cru pendant toutes ces années que les deux officiers avaient été tout simplement extrêmement discrets. Il n'aurait jamais imaginé qu'ils s'infligeaient de refuser toute relation au nom de la discipline et des règlements. Ce n'était pas le style de Jack, mais fort certainement celui du major. Elle avait fait le siège du SGC jusqu'à ce qu'elle obtienne d'intégrer le programme sur le terrain. Ce qui n'était que justice vu l'acharnement avec lequel elle avait travaillé sur le projet au Pentagone. Il soupira. Le colonel avait besoin d'un coup de pouce. O'Neill ignorait que lui aussi était homme à faire plier les règlements pour qu'ils s'appliquent à son propre cas et il n'allait certainement pas le lui apprendre.
"Qu'attendez-vous de moi colonel ?" finit-il par demander.
"Votre permission d'emprunter le stargate pour me rendre sur Vorash, monsieur."
O'Neill était têtu. Il le relancerait jusqu'à ce qu'il accepte. Il jeta un coup d'œil à sa montre et dit d'une voix posée.
"Colonel, nous attendons SG-13 dans moins d'une heure. Dès que l'équipe sera rentrée, vous pourrez vous rendre sur Vorash."
"Merci général," dit Jack en se levant.
"Jack ?"
Il se retourna, la main sur la poignée de la porte.
"Ne faites rien que vous regretteriez mon garçon."
"Je n'ai plus rien à perdre George."
*
"Salut," dit O'Neill en regardant d'un air faussement dégagé les trois gardes Tok'ras qui venaient à sa rencontre.
"On nous avait prévenu de votre visite, colonel O'Neill," dit le plus jeune. "Si vous voulez bien me suivre…"
Jack posa les mains sur son arme en bandoulière et emboîta le pas à son guide. Ce dernier s'arrêta brusquement et Jack qui marchait le nez au vent faillit le percuter. Il s'arrêta juste à temps et commença à protester.
"Si vous voulez vous approcher colonel," dit le garçon sans se formaliser.
"Ah… c'est là ? Bon, vous allez me trouver ridicule, mais comment est-ce que…."
Les anneaux descendirent sur eux avec un grondement et ils furent dématérialisés.
"…. vous savez que c'est le bon endroit ?"
Le jeune homme tendit la main et Jack tourna la tête.
"Qu'est-ce qui vous amène Jack," dit Jacob en s'avançant. "Je m'attendais un peu à votre visite, je ne vous le cache pas."
"Hammond vous a raconté ?"
"Raconté quoi ? Non, Sam m'a expliqué que vous la rejoindriez certainement d'ici un jour ou deux."
Jack sentit que le sol s'effondrait sous ses pieds. Est-ce qu'il était tellement prévisible aux yeux de Carter ? Hammond s'était bien gardé de le prévenir qu'elle l'avait précédé sur Vorash... Il avait même fait semblant de traîner les pieds. Il ne perdait rien pour attendre. Il ravala sa colère et tenta de faire bonne figure en se concentrant sur ce que disait Jacob.
"Je vous préviens que ce n'est pas le bon moment pour passer des vacances sur Vorash. En cette saison, nous avons encore pas mal de tempêtes de sable. Enfin, vous vous en rendrez compte par vous-même. Ma fille vous attend au labo. Vous saurez y aller ? Je n'ai pas le temps de vous accompagner pour l'instant, je suis en pleine réunion. A plus tard, Jack," termina Jacob en lui lâchant la main, qu'il tenait toujours serrée entre les siennes.
Sans laisser à O'Neill le temps de répondre, il s'éloigna rapidement. Le colonel se mit à tourner sur lui-même et finit par décider au hasard quelle direction prendre. Au bout d'un temps qui lui parut considérable, il n'était toujours arrivé nulle part. Il continua à divaguer dans les tunnels tok'ras sous le regard intrigué des autochtones. Personne ne fit cependant de commentaires, sa réputation n'étant plus à faire…
Au détour d'un couloir, il reconnut la salle du conseil et passa en faisant un signe de la main en direction de Jacob qui parut ne pas apprécier la plaisanterie. Jack le vit se pencher sur la table et se lever d'un bond.
"Colonel O'Neill, j'avais dit à Jacob que vous vous perdriez. Il semblerait que j'avais vu juste."
"Selmak ! Toujours un plaisir de vous voir mon vieux. Je ne suis pas vraiment perdu, je me promène," dit Jack crânement.
"Jack, je vous envoie quelqu'un tout de suite. J'aurai dû le savoir," continua Jacob en lui tapant sur l'épaule. "Selmak m'avait prévenu. J'ai perdu…"
"Vous pariez contre… vous-même ?"
"Jack pas maintenant. Ne bougez pas de là. Votre guide arrive."
O'Neill se mit un peu en retrait et observa le Grand Conseil du coin de l'œil. Une voix juvénile le tira de sa rêverie.
"O'Neill ! Je suis content de vous voir," dit le gamin en lui tendant la main. "C'est bien la coutume sur votre planète de serrer la main ?" dit-il d'un ton inquiet devant l'immobilisme de O'Neill.
"Je… heu… Charlie ?? Charlie !!" s'exclama Jack en prenant le petit Reetou dans ses bras. "Au nom du ciel, moi aussi je suis content de te voir, bonhomme ! Ca fait un bail… Tu as drôlement grandi… Et…"
"Je suis en bonne santé O'Neill. Selmak y a veillé."
Jack se pencha vers le gamin et lui toucha la tête. "Tu…"
"Je suis l'hôte de Gar'esch. Vous voulez lui parler ?"
"Heu, non merci, pas maintenant… Plus tard… Un de ces jours…"
"Selmak m'a chargé de vous conduire auprès de Samantha Carter."
"Comment ? Je veux dire comment est-ce qu'il a fait ça ? Je ne l'ai pas vu téléphoné ou…"
"Je ne suis pas autorisé à divulguer ce genre d'informations O'Neill."
"Evidemment ! Ca m'aurait étonné ! Toujours la même chose avec vous les Tok'ras. Dès que vous avez un truc qui pourrait nous être utile, c'est non ! Vous êtes pire que des Vulcains !"
"Je ne connais pas les Vulcains, O'Neill, je suis désolé," s'excusa Charlie.
"Mauvais exemple…"marmonna O'Neill.
"En effet mon colonel. Vous allez embrouiller ce pauvre garçon. Je croyais que vous n'aimiez pas la science-fiction ?"
"Ah ! Carter … Star Trek, ce n'est pas de la science-fiction, voyons !"
"Si vous le dites mon colonel," sourit Carter.
O'Neill lui rendit son sourire. Elle lui avait manqué. A son crédit, elle était parfaitement détendue. Son regard bleu perçant le dévisageait sans l'ombre d'une gêne.
"Hum… Carter, je suis venu parce qu'il faut qu'on parle. J'ai…"
"Je vois que vous avez retrouvé Charlie, mon colonel," l'interrompit Carter avec un froncement de sourcil en lançant à son supérieur un regard sans équivoque.
Le colonel se retourna vers le gamin. Comment est-ce qu'il pouvait avoir oublié sa présence ? Charlie lui fit un sourire timide.
"Oui, j'ai retrouvé Charlie, Carter. Je me disais…" il prit la main du garçon dans la sienne, "…si nous allions manger un morceau ?"
"Colonel ! Il n'y a pas de mess ici !" s'exclama Carter. Elle se passa la main dans les cheveux et se tourna vers Charlie. "Ca te dit de venir goûter chez mon père ?"
*
"Carter, c'est très joli ici, mais je préférerais sortir faire un tour. Je commence à me sentir un peu, comment dire, claustrophobe ici … La décoration probablement. N'y voyez rien de personnel. D'ailleurs Charlie n'a pas traîné non plus ! Pourquoi est-ce que personne ne m'a rien dit ? je croyais…"
"Les Tok'ras sont bien plus avancés que nous mon colonel. Même si j'ai du mal à admettre ce que me dit mon père, il a raison, nous jouons aux apprentis sorciers."
"C'est moi qui ai voulu jouer aux apprentis sorciers Carter. Je ne sais pas pourquoi vous acceptez de m'adresser la parole. Je sais que j'ai tout gâché entre nous. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je regrette. Ca ne changera rien à ce que je vous ai fait subir Carter. Je pourrais m'excuser pendant des heures que ça n'y changerait rien."
"Je suis en train de devenir claustrophobe moi aussi," répondit Sam. Elle désigna le couloir. "L'absence de porte y est sans doute pour beaucoup," sourit-elle. "Vous avez raison. Allons faire un tour à la surface et… colonel ?"
"Oui," dit Jack plein d'espoir.
"Arrêtez de gémir et de vous complaire dans vos excuses," dit-elle en le distançant.
"Attendez-moi," murmura Jack. Il la suivit en distribuant sourires et courbettes à tous ceux qu'ils croisaient.
*
"Colonel !" hurla Carter en se retournant vers lui les poings sur les hanches. Ses yeux lançaient des éclairs. "Comment avez-vous osé ?"
"Heu… Osé ?"
"On dirait que vous avez mis toute la base au courant ! Pour l'amour du ciel ! Je vous ai juste accompagné à Philly."
"Vous vous êtes enfuie !" protesta Jack.
"Je n'ai pas de comptes à vous rendre quand je suis en permission colonel ! A qui n'en avez-vous pas parlé ? Votre attitude est totalement irresponsable ! Toute cette agitation pour un simple baiser ?! Franchement je ne vous aurais jamais pris pour quelqu'un de romantique…"
Elle fit quelques pas en donnant des coups de pieds dans le sable. Jack ne bougeait pas, attendant que la tempête se calme. Alors c'était qu'il ait des remords qui la mettait en colère ? Il n'y comprenait plus rien… Il croyait au moins qu'il était son ami jusqu'à cette nuit-là. Elle ne veut rien avoir à faire avec toi mon vieux, c'est aussi simple que ça.
Il aurait pu s'en douter. C'était bien la même Carter, celle qui passait son temps le petit doigt sur la couture de son uniforme à relire les règlements en surveillant l'avancement de sa carrière. Non, il était injuste. Elle n'était pas comme ça. Elle lui avait remis ses pendules à l'heure à plusieurs reprises et il avait insisté… à plusieurs reprises; jusqu'à ce qu'il aille trop loin.
Du moins l'avait-il pensé.
Il s'absorba dans la contemplation de ses chaussures. Carter continuait à soliloquer en s'éloignant de lui.
Il releva la tête brusquement. On les observait. Il l'aurait juré.
"Colonel O'Neill, elle vous attend," dit Freya à son oreille.
"Hé! D'où est-ce que vous sortez ?"
"Allez la rejoindre, colonel. J'ai étudié votre peuple. Il semble que cette attitude soit classique chez les femmes amoureuses quand elles doivent affronter un amant indécis," continua Freya sur un ton docte.
"Indécis ?! Je ne suis pas indécis !" s'exclama Jack.
"Donnez-moi votre arme et allez la rejoindre. Croyez-moi. Je sais reconnaître…"
"Vous n'avez pas eu à vous donner grand mal avec votre xanax !"
"Il est vrai que vous m'avez tous deux donné confirmation de votre sentiment mutuel. Ce qui m'a permis de comprendre la raison de votre refus à partager mon lit."
"Heu…hum, n'en parlons plus d'accord ? Tenez," dit Jack en lui mettant dans les bras son P90 et tout son attirail. "Et si ça ne marche pas, vous allez m'entendre !"
"Si ça ne marche pas O'Neill, ma proposition tient toujours…"
O'Neill lui lança un regard amusé et s'éloigna. La barbie tok'ra avait de la suite dans les idées !
*
L'alarme retentit au niveau –28.
Les soldats se mirent en position immédiatement dans la salle d'embarquement. Le général arrivait en courant quand le technicien dit d'une voix égale.
"C'est le code de SG-1. Ouvrez l'iris."
Le colonel O'Neill et le major Carter franchirent le champ gravitationnel en se tenant par la main. Hammond fronça les sourcils et le technicien baissa la tête en souriant. Quand il la releva, tout était revenu à la normale entre les deux officiers.
"Colonel, nous ne vous attendions pas si tôt. Un problème sur Vorash ?"
"Aucun mon général. Sauf le sable. Beaucoup trop de sable…"
"Le colonel O'Neill a des travaux de réfection à mener à bien dans sa cabane. Je lui ai proposé de l'aider," expliqua Sam en enlevant sa casquette.
"Sans compter qu'à cette époque de l'année, il y a des perches grandes… comme ça," ajouta Jack en écartant les bras d'un bon mètre.
"N'oubliez pas que votre permission touche à sa fin, colonel."
"Ne vous inquiétez pas général. Nous serons de retour à temps pour sauver le monde ! Permission de quitter la base ?"
"Accordée Jack, et à la semaine prochaine."
Sam suivit le colonel en souriant. Jacob Carter avait raison. Le major général Hammond aimait toujours faire plier le règlement pour qu'il s'applique à ses hommes.
J'espère que Jack ne le sait pas, pensa-t-elle pendant que le colonel l'embrassait fougueusement dans l'angle mort d'une caméra de surveillance.
FIN
Note de l'auteure :
Les deux morceaux cités sont extraits du Pagliacci (Paillasse) de Ruggero Leoncavallo (il s'agit de l'opéra qu'écoute Jack O'Neill quand il parle avec Maybourne dans Shades Of Grey) pour "… vesti la giubba e la faccia infarina…" et du Norma de Bellini pour " Casta Diva ".